Il était fête au village.
Les cloches, dès le matin,
Mêlant leur son argentin
À celui du tambourin,
L'annonçaient avec pompe à tout le voisinage'.
L'Ane du vieux Guillaume, animal sans souci,
(Les soucis logent peu dans l'âme d'une bête),
Voyant tout le village occupé de la fête,
Voulut se divertir aussi.
H déloge aussitôt sans tambour ni trompette.
Eût-on pu, ce jour-là, prévenir son dessein ?
Toute la ferme avait bien autre chose en tête.
Guillaume endimanché s'en allait au lutrin ;
Thérèse était à sa toilette ;
Et le berger Jeannot, paré comme un Lubin,
Ne rêvait plus qu'à son Annette.
On juge bien que le roussin,
Une fois hors de l'écurie,
N'hésita pas longtemps sur le choix du chemin ;
Il tourne le dos au moulin,
Et s'en va droit à la prairie.
Là, pâturant en liberté,
Se jouant, se ruant, faisant la cabriole,-
Il goûte une félicité
Unique, et dont le charme aisément le console
De six ans de captivité.
Seigneur Aliboron, dans ce pré solitaire
Pleinement oublié de tout le genre humain,
Aurait pu jusqu'au lendemain
Prolonger son bonheur s'il avait su se taire ;
Nul ne songeait à lui. L'homme ne pense guère
A ses meilleurs amis quand il n'en a que faire.
Le Baudet, par malheur, de plaisir transporté,
Sans prévoir quel effet aurait son imprudence,
Voulut mettre, par vanité,
Les échos dans sa confidence.
Messieurs les échos d'alentour,
Cria-t-il, annoncez, une lieue a la ronde,:
Qu'Aliboron est, en ce jour,
Le plus heureux Ane du monde.
Il avait à peine achevé,
Ou plutôt il parlait encore,
Que Jeannot, averti par cette voix sonore,
Court à lui, le bâton levé:
Aliboron de fuir. Sa valeur alarmée
Au bâton ne résista pas.
Il fut reconduit à grands pas
Dans sa demeure accoutumée,
Où, pensif,: il se dit tout bas :
Ma langue fut trop indiscrète ;
Par ma bruyante voix j'éveillai les pervers.
Ah ! si je puis jamais dans des herbages verts
Retrouver le bonheur qu'aujourd'hui je regrette,
Je ne prendrai plus la trompette
Pour en informer l'univers.