Colin avait perdu son Ane,
Et le pleurait comme un enfant.
C'était louable à lui. Jamais je ne condamne
Les larmes qu'un bon cœur répand.
Il restait à Colin un peu d'espoir, pourtant.
Grison n'était point mort. De l'établie, sans doute,
Mon libertin s'était échappé sans licou,
Et des champs avait pris la route.
Il errait quelque part ; mais allez savoir où !
Colin, sans rien manger, dans sa douleur extrême,
Sort, court, et va cherchant, et par monts et par vaux,
Le compagnon de ses travaux,
Son soutien, son autre lui-même.
Grison, s'écriait-il de vallon en vallon,
C'est moi, c'est Colin qui l'appelle !
Grison !... Tous les échos, attendris à ce nom,
Répétaient tristement : Grison ! Grison ! Grisont
Et de Grison point de nouvelle.
- Vers le déclin du jour, d'un pas agile et prompt,
Sur le pic escarpé d'un mont
Colin grimpe, et de-là laissant planer sa vue,
D'un immense horizon embrasse l'étendue.
Oh ! que de l'amitié le regard est perçant !
Au sein d'un pré bien vert et bien appétissant,
Colin a vu Grison paissant l'herbe menue.
Il y Vole. Grisou, je te retrouve enfin ;
Viens, reconnais la voix qui frappe tes oreilles !
Il ne la reconnut que trop bien, le lutin !
Au moment que sur lui l'autre portait la main,
Grison se cabre, et fait cent sottises pareilles.
Colin croit le tenir : il était déjà loin.
Ah ! Grison, mon ami, reviens, je t'en conjure.
Tu ne te plaindras plus du peu de nourriture.
Le picotin d'avaine et la botte de foin
Te seront accordés : c'est moi qui le le jure.
Pour rendre ces propos encore plus flatteurs,
Colin émiettait son organe ;
Mais Grison se moquait de toutes ses douceurs.
Mon dieu ! qu'on a de mal pour attendrir un Ane !
Celui-ci, cependant, (admirez le pouvair
D'une éloquence pathétique) !
Par degrés se laisse émouvoir,
Croit aux promesses du rustique,
Et se livrant à lui, souffre enfin qu'à son cou
Colin en le flattant^ rattache le licou.
Tout à coup le manant enfourche sa bourrique,
Et changeant à la fois et de rôle, et de ton,
Des pieds, des mains, et du bâton,
S'escrime en tyran domestique.
Allons, marche donc, vieux Roussin,
Vieux pelé, rosse détestable !
Je t'attends, ce soir, à l'élable :
Là tu reconnaîtras Colin.
Moi, mettre de l'avaine et du foin dans ta crèche !
Nenni, monsieur le libertin !
Double charge soir et matin !
Aux repas, de la paille sèche !
Au dessert, des coups de gourdin !
L'Ane se dit alors : il trahit sa parole.
C'est violer le droit des gens.
Mais les humains, entre eux, ne sont guère plus francs ;
Et voilà ce qui me console.

Livre III, Fable 14




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