Le fils d'un fameux statuaire
(On ne peut disputer des goûts ni des couleurs),
Avait l'ambition de tonner dans la chaire,
Et d'enlèver la palme aux plus grands orateurs.
À son retour du séminaire,
Voulant, pour mieux remplir le plus beau des emplois,
Donner à son débit ce mâle caractère
Qui doit en imposer aux peuples comme aux rois,
Il se levait au jour, tout seul, en tapinois,
Et dans l'atelier de son père
Il venait s'escrimer du geste et de la voix.
Animé d'un saint zèle, à l'aspect des Statues
Qui peuplaient ce profane lieu,
Et qui, pour la plupart, étaient à demi-nues,
Il se croyait en chaire ; et ministre de Dieu,
Il les apostrophait. Tremblez, femmes perdues !
Ces coupables attraits dont vous êtes pourvues,
Ne pourront échapper aux ravages du temps !
L'Éternel a compté vos rapides instants.
Tout périt ici-bas. Sparte qui fut si fière,
Babylone, Memphis, dorment dans la poussière :
Et qui sait, de nos jours, où Ninive exista ?
La cité qui, jadis, à Rome résista,
Le temps l'a dévorée ; et la ronce sauvage
Croît sur les mêmes bords où florissait Carthage.
Tout passe, tout périt, si ce n'est la vertu.
Accourant aux transports de son bouillant délire,
Son père vient, l'entend, fait un éclat de rire,
Et lui dit : est-ce un songe ? à qui t'adresses-tu ?
Ton esprit, occupé ds visions cornues,
Empêche-t-il tes yeux de voir là des Statues ?
Crois-tu les convertir ? tes efforts seraient vains.
— Je le sais, l'auditoire est sourd et j'en enrage ;
Mais un Prédicateur qui s'adresse aux humains
Est-il écouté davantage ?