Le Bœuf devenu vieux Louis-François Jauffret (1770 - 1850)

Au soc laborieux enchaîné trop longtemps,
Un Bœuf avait atteint les limites de l'âge.
Succombant sous le poids du travail et des ans,
Il ne lui restait plus ni force ni courage.
En vain l'indiscret aiguillon,
Lui pressant les flancs dès l'aurore,'
Voulait-il l'exciter encore
A tracer dans la plaine un pénible sillon ;
Le malheureux, touchant au terme de la vie,
S'arrêtait, accusant la vieillesse ennemie.
Qu'arrive-t-il ? Voyant ses efforts superflus,
Et que le Boeuf avait tous les membres perclus,
Le fermier l'affranchit de son rude esclavage,
Et, libre, le conduit dans un gras pâturage.
Là, chaque jour rajeunissant,
Au sein d'une heureuse abondance,
De ses travaux passés le Boeuf reconnaissant y
Croit recevoir la récompense.
Bientôt- il redevient- gras, poli, florissant.
Plein du sentiment qui l'inspire,
Il converse avec les échos,
Et... comme le berger Tityre,
Il est toujours- prêt à leur dire :
Un Dieu m'a fait ce doux repos.
Oh ! qu'il connaissait peu l'injustice de l'homme !
Et que de son destin il se louait à tort !
Victime dès longtemps dévouée à la mort,
Un matin on le vend, et le boucher l'assomme.

Fortune, aux malheureux tes subites faveurs
Cachent quelquefois un abîme.
Souvent, pour l'immoler, tu pares la victime ;
Et ; je crains tes bienfaits autant que tes rigueurs.

Livre I, Fable 6




Commentaires