Au sein d'une verte prairie
Un bœuf passait gaîment sa vie
A paître, à ruminer du matin jusqu'au soir.
A le bien engraisser chacun met son mérite,
Et satisfait des soins que sa personne excite,
L'herbivore animal est heureux de pouvair
Se livrer à sa fantaisie.
Un cheval, son voisin, au travail assidu,
Avec un peu d'envie
Considérait le bœuf frais, gros, gras et dodu.
« De nos destins, dit-il, quelle est la différence,
Et que ne suis-je ainsi traité ?
A peine mon travail gagne ma subsistance ;
Il obtient tout sans l'avoir mérité. »
Mais voilà que d'autres scandales
Aux yeux du cheval vont s'offrir.
Ces jours bruyants, des saturnales
Qui rappellent le souvenir,
Étaient venus, jours heureux pour l'enfance,
Aux masques consacrés, aux bals, à la bombance.
Tout Paris était plein de joie et de rumeur,
Les boulevards étaient le comble du bonheur.
Qui l'eût prévu ? Voici que dans la capitale
Soudain notre bœuf est porté.
Sans doute il va, nouveau Sardanapale,
Être roi des plaisirs et de la volupté.
Il entre triomphant, de fleurs on le couronne ;
Sur son dos mollement est assis un amour ;
Riche cortége l'environne,
Il est admis chez les grands, à la Cour.
Pour le coup, le cheval enrage ;
Ayant conduit son maître à la cité,
Il voit l'heureux rival recevoir maint hommage,
Sans que, même aux jours gras, son foin soit augmenté.
Le lendemain du bœuf il demande nouvelle :
« Il était vraiment bon, j'ai pu l'apprécier,
Répond un friand ; chair plus belle
Jamais ne fit les honneurs d'un dîner. »
Le cheval s'en revient paisible à l'écurie,
Travaille encor longtemps, se voit encouragé.

Du fainéant bonne paraît la vie,
Mais ceux qui l'ont nourri, bientôt l'auront mangé.

Livre I, Fable 8




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