Le soleil se levait à peine,
Que, déjà remplissant sa tâche du matin,
L'Abeille, sur la marjolaine,
Sur le serpolet, sur le thym,
Soigneuse, recueillait sort précieux butin.
Une Guêpe vers elle en bourdonnant s'avance,
Et lui dit : Ma cousine, expliquez donc pourquoi,
En voyant dans nos traits si peu de différence,
L'homme fait tant pour vous, et ne fait rien pour moi ?
Sur le même patron, nature, je parie,
Nous forma toutes deux ; mais je suis plus jolie,
Ayant tout le corps entouré
D'une suite d'anneaux peints d'un jaune doré.
Toutes deux, d'un fruit mûr, d'une plante fleurie,
Nous savourons le goût, nous respirons l'odeur ;
Et comme à vous, le miel me semble une liqueur
Préférable au nectar ainsi qu'à l'ambroisie.
La Guêpe porte un aiguillon :
C'est une arme, il est vrai ; mais l'Abeille a la sienne,
Et votre piqûre est dit-on,
Aussi cuisante que la mienne.
Vous fuyez les humains ; moi je leur fais ma cour :
Au château comme à la chaumière,
Je rends, à toute heure du jour,
Mainte visite familière.
J'assiège le salon, la salle du festin.
De mon bourdonnement je vais charmant l'oreille ;
Voyez pourtant quel est mon funeste destin !
On me hait, on me chasse, _on m'assassine enfin ;
Et je vois triompher l'Abeille.
On vous hâtit une maison
Qu'on place auk,bord d'une onde pure ;
DeS cruels aquilons vous y bravez l'injure,
Et, durant la froide ^saison,
L'homme pourvoit souvent à votre nourriture.
L'Abeille à sa cousine «n ces mots répondit :
Voulez-vous près de l'homme ; être un jour en crédit ?
Imitez mon exemple, et, devenant plus sage,
Pour lui, dès le matin, mettei-vous à l'ouvrage.
L'homme (je puis parler, nous sommes sans témoins)
Reçut de Jupiter l'égoïsme en partage ;
S'il me préfère à vous, s'il me donne des soins,
C'est que je le sers davantage,
Et que je l'importune moins.