L'Enfant et la Cigale Léon Riffard (1829 - ?)

C'est une bien vieille querelle
Que celle
Des cigales et des fourmis.
L'une dit : Vous chantiez ? Eh bien ! dansez, ma chère.
L'autre de pot-au-feu, traite la ménagère.
Ainsi vont se croisant les propos ennemis.
Et cependant la poésie
Me paraît toujours de saison.
La musique et l'économie
N'offrent pas une antinomie.
Et le génie avorte où manque la raison.
C'est votre sentiment, Marie,
Puisque vous mêlez sans efforts
La plus aimable fantaisie
Et le bon sens, le pain des forts !
Puisque, tranquille en votre vie,
Heureuse au milieu de vos fleurs,
Vous ne rabattez rien de vos belles ardeurs,
Ni de votre douce énergie.
Où tend ce propos, direz-vous ?
Voici : je prétends, entre nous,
Que pour faire des vers, il n'est pas nécessaire
De mourir de faim, au contraire.
L'important, c'est la liberté !
Génie et liberté, voilà toute l'affaire
Ce sera ma moralité.

Perchée au bout d'une branche
Sur un pin
Dame cigale, un beau dimanche,
Chantait l'office du matin :
Office divin que nature
Entonne avec le point du jour,
Pieuse symphonie où toute créature
Jette sa note avec amour.
Tantôt c'est une note unique,
A longs intervalles égaux,
Qui soupire, mélancolique,
Au fond des grands bois de bouleaux.
Tantôt c'est la note qui sonne,
Claire et perlée au haut des deux,
A l'heure où le balcon des amants de Vérone
Se colore des premiers feux.
Tantôt c'est la note bizarre
Qui, dans les fermes, tour à tour
Eclate comme une fanfare,
Annonçant le retour
Du jour
Aux échos paresseux qui dorment à l'entour !
A cette aubade matinale,
La cigale
Associant son gai refrain
Faisait vibrer sa petite timbale.
Avec le plus joyeux entrain.
Un enfant qui cherchait des escargots de vigne
Sur la pointe des pieds s'approche du sapin,
Les yeux écarquillés, et bientôt, joie insigne !
Aperçoit la chanteuse : il s'élance soudain ;
D'un coup de son mouchoir étourdit la pauvrette,
Et l'emporte au logis : Il était bien heureux !
Une cage de jonc se trouvait toute prête :
On y loge l'insecte avec des cris joyeux.
L'un apporte de la salade
L'autre des fruits, des vermisseaux,
Un autre de la cassonnade.
Comme elle va chanter, disaient nos jouvenceaux !

Non, répondit la prisonnière,
Tous vos mets ne me tentent guère :
Je vis de rien !
Humer l'air, boire la lumière,
Et puis chanter, c'est tout mon bien.
On vous raconte une imposture
En parlant de nous, mes amis- :
Jamais cigale, je le jure,
Ne mendia chez les fourmis.
Les artistes ont l'âme haute !
Sans liberté, pas de chanson.
Les mettre sous clef, quelle faute !
On ne chante pas en prison. -

C'est ainsi que Le Tasse, honneur de l'Italie,
Qu'il enchantait de ses doux vers,
Persécuté, proscrit, poursuivi par l'envie,
Fut un jour jeté dans les fers.
Affreux destin, triste ironie !

Ses compagnons de chaîne étaient des fous. Pourtant
Telle était dans ses yeux la flamme du génie,
Telle la majesté de ce front imposant,
Que tous ces malheureux, oublieux de leur plainte,
A son aspect,
Se groupaient à l'entour, un peu loin, par respect,
Emus de sympathie et pénétrés de crainte.
Mais les geôliers, plus brutes que les fous,
Le maltraitaient. Ah ! maudits soyez-vous,
Et tyrans et bourreaux, barbares que vous êtes !
Et vous, mes enfants, soyez doux,
Et ne laissez jamais mettre sous les- verrous
Les cigales et les poètes.

Livre II, Fable 9




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