A l'abri d'un rocher, dont le grand mur crayeux
Arrêtait du mistral les efforts et la rage,
Un verger bien planté, bien clos, offrait l'image
D'un travail incessant, habile autant qu'heureux.
Un mince filet d'eau, filtrant par une fente,
Avait au pied du roc creusé comme un bassin,
Où l'onde, en s'amassant, restait si transparente
Qu'il semblait être vide, alors qu'il était plein.
Placé sur la hauteur, au sommet de la pente,
Ce réservoir
S'épand sous les carrés en ruisseaux d'eau courante,
Ou jaillit au-dessus des pommes d'arrosoir.
Qu'un rayon de soleil survienne, et c'est merveille !
Dans le jet qui se brise en poussière d'argent
Se joue un arc-en-ciel. Aux pointes de l'oseille
Scintillent en bordure opale et diamant.
Mais tout change. L'hiver fige la cascatelle
Qui pend dans la broussaille, au milieu des glaçons ;
Sur les branches des buis il met une dentelle
Où le jour fait trembler quelques pâles rayons.
Le givre fleurit seul les poiriers en quenouille ;
Aux espaliers s'accroche un rang de paillassons.
Et la neige qui tombe, et qu'aucun pas ne souille,
Brouille tous les sentiers et tous les horizons.
Tout est mort... et tout vit ! Dans ses laboratoires
La nature déjà travaille le printemps ;
Chargée à son creuset de nouveaux éléments
La sève va monter sous les écorces noires.
Bientôt ce bois si dur se fendra : le bouton
Va poindre tout luisant dans sa verdure tendre !
Mais gare la gelée ! Il faut savoir attendre.
Tout arbre, tout mortel, doit s'appliquer, dit-on,
Ce dicton.
Par un de ces beaux jours dont les chaudes caresses
Sont comme un avant-goût du prochain renouveau,
Un amandier, crédule à ces douces promesses,
S'avisa de fleurir. Délicieux tableau :
Sur la sombre verdure
D'un long rang de cyprès qui borde le coteau
S'enlève l'amandier, dans sa fraîche parure,
Tout blanc, comme un bouquet de mariée ! Oiseau,
Insecte ailé que le soleil invite,
Bien vite,
Volent de tous côtés pour lui faire visite,
A l'aspect imprévu de cette floraison,
La première de la saison !
Et l'amandier, tout plein de parfums, de lumière,
Et de bourdonnements joyeux,
Triomphe et rit à sa manière,
D'un air superbe et dédaigneux.
- Pour lutter avec lui, quel arbre était de taille ?
Dans le verger tout était mort.
Même les espaliers qu'abrite la muraille ! -
Un pêcher doucement lui dit : Vous avez tort !
Petit bonhomme vit encore ;
Et le ciel bien certainement
Me comptera plus d'une aurore.
Je me recueille en ce moment.
Avant que violons aient marqué la cadence,
Il ne faut pas entrer en danse.
La vie en ses secrets canaux
Me revient comme à vous. Je la sens qui s'élance.
Et déjà voudrait poindre au bout de mes rameaux.
Mais je tiens bon. As-tu vu l'hirondelle,
D'un coup d'aile,
Effleurer en buvant le cristal du bassin ?
Dans les bordures du jardin
Sur quelque brin
? Vois-tu voler la coccinelle ?
Rien ne sert de fleurir, il faut fructifier.
- Arbuste de peu de courage,
Vois le beau temps !-Je crois, dit l'autre, qu'il est sage
De ne pas s'y fier.
Cependant le soleil baissait. Dans sa lumière
La lune dessinait comme un vague contour,
Et peu-à-peu montait sa grande face claire,
Pendant que tombait le jour.
Sous l'épais paillasson abritant chaque branche
Le pêcher delà nuit affronta la rigueur.
Mais le pauvre amandier en fleur,
Tout brûlé, noir à faire peur,
Passa le temps de la chaleur
A pleurer sa toilette blanche.