Le même jour, à la même heure,
Deux hommes sont conduits dans la même prison ;
Tous deux sont de bonne maison,
Et chacun de cette demeure
Veut bannir le chagrin.... Ils ont, ma foi, raison. "
On rit, on boit, on fait bombance ;
L'ennui s'enfuit, tout effrayé ;
Dans le vin pétillant il craint d'être noyé.
Vive la joie, au diable l'abstinence ;
Nos deux reclus font ainsi connaissance.
La nuit arrive, chacun dort :
Le jour luit.... hélas ! on s'éveille,
Adieu la gaîté de la veille ;
On n'a devant les yeux que la rigueur du sort,
Lorsqu'en prison l'on n'a plus la bouteille,
Et l'ennui de retour alors est le plus fort,
Tous deux bien tristement racontent leur histoire ;
Et si l'on s'avise d'y croire,
L'un a raison et l'autre n'a pas tort.
L'un des deux, cependant, est franc, loyal, honnête ;
Pourquoi donc a-t- il dit de grandes vérités ?
Ce n'est pas un forfait, mais n'importe ; on l'arrête
Par ordre des Autorités.
L'autre est un fourbe adroit, qui, par des perfidies,
Et par des trames bien ourdies,
A ruiné, perdu de fort honnêtes gens ;
Enfin il est tombé dans les mains des sergents.
Ah ! si Dieu veut qu'en prison il demeure,
Si je l'en tire, que je meure !
Dans l'attente du jugement,
Six mois se passent : quel supplice !
Mais la justice ordonne et veut que la justice
Ne marche que très-lentement ;
Ce qu'elle fait exactement.
Lejour du jugement arrive ;
Le même jour on les juge tous deux :
Le fourbe a l'ame fort pensive,
Il sait que son cas est douteux.
L'autre a pour lui sa conscience,
Au tribunal parle avec fermeté,
Et démontre son innocence.
Or devinez quelle fut la sentence ?
L'homme franc est puni, le fourbe est acquitté...
Et puis, dites la vérité.
L'auteur nomme cet écrit Conte moral ; la différence avec une fable n'est pas sensible.