Le Serin, le Moineau et la jeune Pensionnaire

J. F. Roucher (19è)


Nous savons tous que les pensionnaires
Aiment fort les petits oiseaux :
Aussi les plus gentils et même les plus beaux
Sont souvent dans les séminaires ;
Ils y sont carressés le matin et le soir,
Même la nuit par les plus jeunes filles,
Et surtout par les plus gentilles ;
Le long du jour on les laisse au parloir.
Avec sœur Rose, avec sœur Séraphine,
L'un babille, l'autre badine ;
Mais au babil surtout chacun veut avoir part :
Un oiseau de couvent est toujours babillard.

Un pierrot, cependant, que l'on venait de prendre,
Tout pierrot qu'il était, jamais ne disait mot ;
Il est facile de comprendre
Que dans tout le couvent il passait pour un sot.
Que n'a-t-il l'esprit dont tu brilles,
Disait sœur Thècle à son jeune serin ?
Pourquoi rester muet ? d'où lui vient son chagrin ?
Il faut parler avec des filles.
Comment veut-il nous plaire en ne nous disant rien ?
En vérité ce n'est bien. pas
Le serin répliqua : sœur aimable et chérie,
Rassurez-vous ; bientôt il parlera ;
Interrogez-le et je parie
Que soudain il vous répondra :
Quel oiseau ne répond à sœur jeune et jolie !
Non, non, dit Thècle ; il est trop circonspect,
Et puis je crains ses coups de bec :
On dit qu'il mord, et même qu'il déchire………
Vous riez ; il ne faut pas rire ;
Vous êtes un méchant. Calmez votre courroux,
Dit le serin, je vais l'interroger moi-même :
Pauvre pierrot, pourquoi nous boudez-vous ?
En ce couvent tout le monde vous aime,
Croyez-moi, faites comme nous.
Abjurez la mélancolie ;
S'attrister est une folie,
Devenez aimable et joyeux...
Mais quoi ! des pleurs s'échappent de vos yeux !
Qu'avez vous donc, parlez, je vous supplie ;
Racontez-nous votre chagrin ;
Nous le ferons cesser soudain.
Hélas ! dit le pierrot en répandant des larmes,
Ce couvent a pour vous des charmes ;
Pour moi ce n'est qu'une prison.
Vous êtes né dans l'esclavage ;
Moi je suis né sous le plus bel ombrage,
Et la voûte du ciel m'a servi de maison.
Ah ! si vous aviez vu dans la belle saison
L'émail des prés, le cristal des fontaines,
Et l'or flottant de la moisson,
Et les troupeaux s'égarant dans les plaines !
Si vous aviez écouté la chanson
Du rossignol et des fauvettes,
Et des bergers entendu les musettes,
En ce lieu comme moi, vous seriez attristé.
Vous maudiriez ces grilles, cette cage...
Peut-on vivre dans l'esclavage,
Lorsque l'on a connu la liberté ?

Sœur Thècle approuva ce langage,
Et le pierrot de Thècle fut chéri.
Un jour, de l'oiseau favori
Elle eut soin d'entr'ouvrir la cage...
Ah ! quelle joie ! il part, il est parti ;
Et Thècle répétait dans son cœur attendri :
Que ne puis-je être du voyage !





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