La Linotte et le Serin Bourgeois-Guillon (19è siècle)

Après l'ingénieux Lamotte,
Oserai-je ici, M.... rin,
Vous retracer le tout autre destin
De deux moineaux ? C'est la verte linotte,
Et son confrère le serin,
Tous les deux l'honneur du jardin,
L'honneur de maint et maint bocage.
Ils ne le cèdent en ramage
Qu'au chantre du printemps, et même, passé juin,
Sur Philomèle alors et muette et sauvage,
Ils reprennent tout l'avantage
De leurs jolis gosiers et de leur air mutin.
Faut-il que la haine et sa rage
Troublent le cœur de nos jolis oiseaux !
On ne les voit jamais sur les mêmes rameaux ;
Car, alors, coup de bec eût souillé leur plumage.
Mais tout ce que la haine à des moineaux
Peut inspirer, caquets et persiflage,
Est follement par eux mis en usage.
Enfin, ne sais comment, tous les deux furent pris,
L'un, sans doute en des lacs, l'autre sur ses petits ;
Et tous les deux en même cage
Impitoyablement sont mis.
(De ceux qu'il met en esclavage
L'homme ne s'enquiert pas s'ils sont parents, amis ;
Allez-vous-en voir à Tunis.)

Que leur prison d'abord leur fut insupportable !
Chacun, dans son coin, misérable,
Aggrave encor le mal de sa condition.
Ils avaient pris la résolution
De se laisser mourir de faim : la serinette,
Tous les jours de nouveaux biscuits,
Et la douce voix de Nanette
Leur sifflant tous les soirs baisez, mignons, fils, fils,
Dissipent enfin leurs ennuis,
Serin un soir : vraiment, ma bonne amie,
Dit-il, entre nous, c'est folie
De prolonger la brouillerie.
Nous ne sommes plus dans les bois,
Mais pour longtemps peut-être en cage,
De nous faire des tours nous n'avons plus le choix ;
Adoucissons, crois-moi, notre esclavage,
Linotte ne répond... pour la première fois.
Toujours son sexe aura de la coquetterie !
Mais le serin devient plus vif, plus étourdi,
On reprend du goût à la vie,
On abrège la bouderie,
On mange, on se regarde, on soupire ; à l'envi
Même on apprend un air joli
Que sur même bâton, côte à côte, on répèle.
Adieux, souvenirs de coudrelte ;
Linot, rossignol et pinson,
Adieux ; bosquets, rose printanière,
Adieux ; notre linotte aime.... aime sa prison.
— Sa prison ? — Elle y devient mère.