Libre d'hymen et d'amour,
Une gelinotte un jour
Prit son vol, quitta la bruyère,
Et s’abattit dans une basse-cour,
Ou dame Claude, habile ménagère,
Gouvernait la volaille et, d’un soin continu,
En tirait pour son maitre un joli revenu.
Vers la belle inconnue on accourut en foule.
Le coq, en l’abordant, se mit à coqueter ;
Et jeune et vieille poule,
Pour la complimenter,
Sans attendre son tour se mit à caqueter.
Dame Claude, ébahie,
Battait des mains, avait la mine réjouie ;
Et pour la voyageuse, oisillons et canards,
Contre leur naturel, se montraient pleins d’égards.
La gelinotte, ainsi reçue,
Bénissait son voyage, en admirait l’issue,
Se gorgeant soir et matin
D’orge, de mil où d’autre grain,
Que d’une main prudente
Dame Claude jetait a ses poulets chéris,
En leur criant d’une voix caressante :
« Petits ! petits ! »
La gelinotte était la mieux choyée ;
Au banquet général qu'elle vint tôt ou tard,
Des plus doux noms toujours gratifie,
Elle avait la meilleure part.
Mais quoi ! des biens du monde on aurait plénitude,
Si l'on est tourmenté par quelque inquiétude,
La crainte trouble, on ne fait cas de rien.
Gelinotte l’éprouva bien ;
Elle n’y put tenir, et voyant auprès d’elle
Certaine poule a l’amuser fidèle,
Et qui lui témoignait beaucoup d’attachement,
Elle lui dit sans autre compliment:
« Adieu, je pars ; bon soir à vos compagnes ;
Votre ferme pour moi ne vaut pas nos montagnes.
—Vous partez ? lui dit l’autre, et rien ne manque ici :
Bon vivre, gite chaud, ni peine, ni souci ;
Sur vos monts désolés ont régné la froidure,
Qui prendra soin de votre nourriture ?
Le milan vient parfois vous y mettre en péril,
Et maint chasseur y grimpe avec chien et fusil.
Si vous partez, ma foi, vous êtes sotte.
— Oh ! que nenni, reprit la gelinotte ;
Jai vu, je connais votre fait.
Vous m’en dites le beau ; mais écoutez le laid :
I n’est pas de destin plus cruel que le vôtre ;
On vous porte au marché ce jour l'un, demain l'autre ;
Et de vous tous l’inévitable lot,
C'est la broche ou le pot.
Moi, j'ai le vœux de mourir de vieillesse ;
À le remplir je mettrai mon adresse.
Le serre du milan, le chasseur et ses las,
Peuvent, je le sais trop, avancer mon trépas ;
Mais de leur échapper j'aurai plus d'une chance.
Dans nos forêts j'emporte l'espérance,
Et c'est ici ce que vous n'avez pas ;
Sans elle, si du reste ! Adieu ! tristes victimes,
Des monts, si vous pouvez, gagnez aussi les cimes. »
Elle dit
Et partit.

Fables, 1847, Fable 26




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