Un joueur ayant tout perdu,
Un ami lui fit passer sa bourse ;
Un roi de cœur rafle cette ressource,
Et de nouveau le joueur fut tondu.
« Ô ciel ! la veine allait être meilleure,
Et je vais sans miser laisser fuir la bonne heure. »
S’écrîa-t-il. Puis, voyant son ami
Sur un fauteuil endormi :
« Réveille-toi, mon cher ; la fortune t’appelle ;
Fais après tes écus arriver ta vaisselle. »
La vaisselle arriva, le joueur fut heureux ;
Mais, envers son ami loin d’acquitter sa dette :
« Je garde tout, dit-il ; à des joueurs nombreux
J’ai promis, et le soir je dois leur tenir tête.
Adieu ! Je veux pour prix de ton trait obligeant
Que nous roulions demain sur l’or et sur l’argent. »
Voilà bien le joueur ! Indiscret et sans honte,
N’a-t-il rien, il emprunte ; est-il en fonds, il ponte.
Mais eût-il débanqué les trois Rothschild d’un coup,
Il fuirait son prêteur comme un chien fuit un loup.

Fables, 1847, Fable 30




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