Le Pressentiment Marc-Louis de Tardy (1769 - 1857)

Un lion eut pour lot le talent des conquêtes ;
Il en fit trop. Dieu, qui s’en courrouça,
Comme il s’arrondissait, voulut qu’on le chassât.
Les gens d’esprit, les sots, les bêtes,
Le froid, la faim, et cetera,
La trahison, tout s’en mêla.
Le lion fut réduit, par pertes et défaites,
A partir pour une ile où tout lui fut soumis,
Sans pourtant qu’il en put sortir sans un permis.
Il aurait pu s’y faire une vie agréable;
Mais de contrainte il était incapable.
L’ennui le prit dans sa petite cour,
Si bien, que s’adressant à son ministre un jour,
Sans autre préambule :
« Maitre un tel, lui dit-il,
Boire, manger, dormir et ronfler sans péril,
Est un rôle fort sot, disons mieux, ridicule.
Si nous recommencions;
Qu’en pense Votre Excellence ? »
L’Excellence frémit de cette extravagance.
« Sire, dit-il au Pyrrhus des lions ;
Sur des succès comptez-vous bien d’avance ?
Espérez-vous encor dicter la loi ?
A votre étoile, enfin, avez-vous encor foi ?
— Pas trop, dit le banni; mais chassons cette idée,
Qui me revient souvent, qui toujours me fait mal ;
L’avenir, je le sais, peut nous être fatal ;
Du monde entier la ligue est un peu forte ;
Mais qu’y faire? et qu’importe ?
Le bivouac, mon cher, a des charmes puissants ;
Nous aurons de nouveau le plaisir de nous battre ;
Je passerai pour un vrai diable a quatre;
Et la poudre a canon me tiendra lieu d’encens.
Aux armes! voile aux vents, et vogue la galère. »
Au rivage voisin il débarqua la guerre.
Elle ne fut pas longue. Apres de beaux succès,
Sur un champ de bataille il perdit son procès.
1] n’avait plus les ruses du jeune Age ;
Il fut pris cette fois. Fermé dans une cage,
II put sur la morale et sur ambition
Faire à loisir mainte réflexion.
Quel que soit, mon ami, le projet qui t'enflamme,
Si du succès tu n’as point en ton Ame
L’intime conviction;
Si tu doutes de ton étoile,
Fais-toi petit, serre ta voile;
Et par un prudent effort,
Quand tu le peux, rentre bien vite au port.
Homme d’épée, homme de banque,
Lorsque d’en haut l’appui lui manque,
Et qu’il en a le sentiment confus,
De lauriers ou d’écus
Sans vouloir davantage,
Doit s’en tenir a son lot s'il est sage.
Oui, le ciel donne à l’homme en de grands intérêts
Des avis sûrs quoique secrets.
Et l’enragé qui cède au diable qui le tente,
En Van qui court trouvera l’an quarante.
O noble Onéida, si j’avais le pouvoir
De lire au firmament pour faire un horoscope,
Je vous dirais l’avenir de l'Europe,
Et vous verriez par mon savoir
Ce que chacun 4 lui tout seul voudrait voir.
Mais quoi! les jours qui doivent suivre,
Sombres ou clairs sont cachés 4 mes yeux;
Faible mortel je ne puis dans les cieux
Au destin arracher son livre.
Je pressens néanmoins qu’en ce siècle vaurien,
Où l'on suit mal les préceptes de Rome,
Le mal étant venu de l’homme,
C'est du beau sexe un jour que nous viendra le bien.
Les dames ont compris qu’en toute république,
La femme est du mari la simple domestique.
Comme aux élections elles n’ont point de part,
Le populaire doit mourir sous leur critique ;
Ce qui n’est point royal leur est antipathique,
Et leur phalange, tôt ou tard,
Par ses raisons et par ses charmes,
Aux yandales du jour faisant poser les armes,
La France, grace a la beauté,
Reprendra gentillesse ensemble et majesté.
C'est un pressentiment qu’a vos pieds je hasarde,
Belles, vous m’entendez; le reste vous regarde.
Pour rappeler le gout, les ris, et cetera,
Liguez-vous, et pour chef prenez Onéida.

Fables, 1847, Fable 31




Commentaires