La courte Échelle Aimé Naudet (1785 – 1847)

Le bonhomme Lucas et Gros-Jean, son voisin,
Tous deux amis depuis l’enfance,
Au pied d’un chêne antique assis un beau matin,
Faisaient des projets... L’espérance
De ses promesses les leurrait ;
Chacun puisait d’avance à la bourse commune,
Et foi d’ami, chacun jurait
Que le premier des deux qui ferait sa fortune
Avec |’autre partagerait.
A peine le serment s’achève,
Au-dessus de leur tète ils entendent du bruit :
A travers le feuillage un jeune aiglon s’enfuit,
Et, de nos deux manants interrompant le rêve,
A leurs yeux de joie ébahis,
Fait tomber, en fuyant, un joyau de grand prix.
« Hola ! cette aventure est vraiment incroyable !
Les aigles pondent-ils, dans cet heureux pays,
Comme la poule de la fable*?
Nous le saurons bientôt : fais-moi la courte échelle ?;
La fortune pour nous cesse d’être cruelle. »
Ainsi parla Gros-Jean. Aussitôt, l’habit bas,
Et sans plus de façon mon drôle
Dans les mains du voisin Lucas
Met un pied, puis après, l’autre sur son épaule,
Atteint une branche, et déjà
A moitié chemin le voila :
Au nid de notre oiseau de proie
Sa main allait toucher ; mais quelle fut sa joie
Quand dans un creux de l’arbre il aperçut de l'or...
De l'or ! quel fou si mal peut cacher un trésor ?
J’oubliai de m’en mettre en peine ;
La chose, cependant, n’en est pas moins certaine.
Gros-Jean donc, chargé d’or, descendit lestement ;
Mais, loin de songer au partage,
Il oublia son beau serment.
Et mons Gros-Jean, suivant l’usage,
Comme le plus ingrat fut le plus insolent
Des parvenus de son village.

À la ville aussi bien qu’aux champs
Notre mémoire est infidèle :
Que de petits devenus grands
Ont oublié la courte échelle !

1829




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