Dans ce bas monde, il n'est qu'un bruit ;
C'est que la Vérité s'y cache au fond d'un puits.
En tout pays c'est l'espoir du vulgaire,
Que de son trou quelqu'un la sortira,
Et le sentiment populaire
Montre assez le plaisir qu'à la voir on aura.
Sans la chercher pourtant parfois on la rencontre ;
Mais lorsqu'à nous sans fard elle se montre,
L’orgueil ou la vanité
Nous font tourner la tète et passer de cote.
Elle voulut savoir si la froideur hautaine
Qu’a son égard avait la race humaine,
N’était point un effet de quelque préjugé;
Et voici comme
Elle s’y prit pour lire au cœur de l'homme,
Et découvrir s'il n’avait pas changé.
Au carnaval, dans ces jours de délire,
Ow les plus sérieux se chatouillent pour rire,
La figure masquée, elle entra sans façon
Dans un superbe salon.
La, s’annonçant comme une infortunée,
Victime de la destinée,
Sans ressource et n’ayant d’espoir
Que dans la vente d’un miroir,
Elle pria l’heureuse compagnie
De l’'acquérir par une loterie.
Avant d’y mettre on voulut voir.
Une coquette prit la glace,
Et voyant œil sournois, lèvre mince et teint noir,
« Fi! quelle horreur!» dit-elle. Et, faisant la grimace,
Elle passa la glace à son voisin.
Le voisin de madame était un aigrefin ;
Il tendit le miroir a certain publiciste,
Lequel en se mirant n‘aperçut qu'un sophiste.
Un bavard accourut; mais ne voyant qu’un sot,
Il fit la pirouette et ne dit plus un mot.
Tout galonné, certain bravache
Vit des glaçons sur sa moustache.
Un homme sec vint après,
Et le pauvret connut qu'il était fait exprès
Pour s’illustrer par des vétilles.
Un poète se vit tout coiffé de chevilles ;
Et certain orateur, rubicond, bourgeonné,
Lut son ivrognerie écrite sur son nez.
De main en main le miroir fit la ronde ;
Mais il eut le secret de fâcher tout le monde.
A tous les regardants sa franchise déplut,
Et de billet aucun d’eux ne voulut.
La Vérité, dans sa disgrâce,
Aperçut à l’écart une jeune beauté,
Qui n’avait témoigné de se voir dans la glace
Aucune curiosité.
De cette Agnès la Vérité s’approche,
Et lui faisant un doux reproche,
Lui demande pourquoi, dédaignant son miroir,
Elle n’a pas montré le désir de s’y voir.
« Ce miroir est, dit-on, votre unique ressource,
Lui dit la belle; eh bien, voici ma bourse;
Mais gardez un bijou qui ne me tente pas;
I] ne peut me donner ni m’ôter des appas.
J’ai vu cent fois mon image fidèle,
Et je sais bien que je ne suis pas belle;
Car maman me l’a dit. »
La Vérité sourit.
Enchantée et surprise, elle admire en silence
De la jeune beauté la naïve innocence ;
Puis tout 4 coup, d’un air mystérieux,
Elle offre avec bonté le miroir a ses yeux.
La vierge en rougissant veut détourner la vue;
Un charme l’en empêche et d’une voix émue :
« Oh! ce miroir, dit-elle, est un grand imposteur;
Je vois bien tous mes traits dans son disque flatteur;
Mais par quelle magie
A-t-il changé ma physionomie ?
Ce visage est charmant, je lui vois des attraits
Que je n’ai pas, que je n’aurai jamais.
— Vous les avez, et l'art, je vous assure,
Jamais dans ce miroir n’a masqué la nature.
Mais avec sa beauté l’âme s’y peint aussi,
Et le mystère est éclairci.
Je reprends ce miroir; trop de haine et d’envie,
S’il restait en vos mains,
Pourraient porter de perfides humains
A troubler votre vie.
Je suis la Vérité ; comptez sur tous mes soins;
De votre accueil je dois me reconnaitre;
Vous me verrez quelque jour apparaitre,
Quand vous y penserez le moins.
Je ne serai pas seule : un brillant hyménée
Doit fixer votre destinée.
L’époux que je vais vous chercher,
Sous ma conduite aime a marcher,
Au bonheur avec lui vous unirez la gloire,
Si quand je reviendrai vous avez en mémoire
Qu’avec plaisir et fruit pour voir la Vérité,
Il faut de la candeur et de l'humilité. »

Fables, 1847, Fable 36




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