Cette fable, d'une forme étonnante, est faite de 9 formes courtes qui s'enchaînent.

« Qui vit seul ne vit qu’à demi;
Aussi je pense au mariage,
Disait Hylas à son ami;
Et pour bien choisir je voyage.
Mais j’ai couru le monde en vain.
L’amour pour moi n’est que famine. »
L’ami lui dit d'un air malin :
« Tu n’as donc pas bonne voisine ? »

II

Bonne voisine est un trésor
Aussi précieux qu’agréable;
C’est mieux que la poule aux œufs d’or,
Qui n’exista que dans la fable.
Elle est utile à tout instant ;
Toujours plait, jamais ne lutine.
J'ai l'esprit gai, le cœur content,
Depuis que j’ai bonne voisine.

Ill

A son balcon si je la vois,
Tout aussitôt je la salue;
Nous nous parlons sans porte-voix
De chaque côté de la rue.
Si quelque ennui vient me saisir,
Il ne saurait prendre racine;
Des qu’il vient on me voit sortir
Pour m’égayer chez ma voisine.


IV

Dans mon foyer si par hasard
Le feu s’est éteint sous la cendre,
Qu’il soit matin ou qu’il soit tard,
Ma servante est prompte a descendre ;
C'est vis-à-vis, pour en avair,
Qu’elle va présenter sa mine,
Et qu'elle prend matin et soir
Du feu pour moi chez ma voisine.

V

Entre ses valets et les miens
Rien ne peut troubler l’harmonie ;
Nos deux noms dans leurs entretiens
Sont honorés de compagnie.
Tout entre nous va de façon
Qu’aucun débat ne le chagrine ;
Mon chien vit en bon compagnon
Avec le chat de ma voisine.

VI

A son moineau je fais ma cour,
Et je lui donne sucre et mouche.
Sur son doigt perché l’autre jour,
Du bec il lui baisait la bouche.
Je l'appelai tout aussitôt ;
Il me comprend, il me devine,
Il vole et m’apporte tout chaud
Le doux baiser de ma voisine.

VII

Je lui fais passer mon journal;
Elle me préte sa gazette.
Son esprit fin et jovial
De bons mots jamais n’a disette.
Nous parlons des chambres, des cours,
De l’Angleterre et de la Chine ;
Mais a Paris il faut toujours
Revenir avec ma voisine.

VIII

Elle brille dans les concerts,
Et chante, ma foi, comme un ange ;
Elle aime fort les jolis vers,
Et l'on en fait à sa louange.
Dans les jeux d’entretiens mélés,
C'est toujours le gout qui domine,
Et les discoureurs ampoulés
N’ont pas crédit chez ma voisine.

IX

De son choix elle m’a flatté ;
A nous unir tout nous convie ;
Nous mettons la félicité
A passer ensemble la vie.
Aussi, tâche de m’imiter ;
Plus de gens qu’on ne s’imagine
En sont, hélas! à regretter
D’avair fait si de leur voisine.

Fables, 1847, Fable 35




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