La Fable et la Vérité Claude-Joseph Dorat (1734 - 1780)

La Vérité dit un jour à la Fable :
De quel front soutiens-tu que nos droits sont égaux,
J’existe avant les temps : toujours brillante et stable
J’ai vu les éléments s’élancer du chaos,
Tout se détruit, change et succombe ;
À cette loi l’Univers est soumis ;
Je la brave ; un Empire tombe ;
Moi, je m’assieds sur ses débris.

Je connais ton pouvair, je sais ton origine,
Lui répond la Fable en riant ;
Elle est très noble assurément ;
Sur les âges elle domine :
Je ne suis que ton ombre, et le dis franchement ;
Mais je suis une ombre badine.
Ton miroir, par exemple est un meuble effrayant ;
La faiblesse le craint, l’amour-propre le brise ;
Moi je corrige en égalant ;
Tu montres la leçon et moi, je la déguise.
Le temps ne fut pas trop sensé
De t’avair ainsi dépouillé :
Quand l’homme est corrompu, tu dois être voilée.
Ma très-auguste sœur, l’âge d’or est passé.

Ne va point prêcher ainsi nue,
Si tu prétends grossir ta cour.
Vénus, même Vénus plaît mieux un peu vêtue ;
La nudité ne sied bien qu’à l’Amour.
Tu menaces ; je ris sans cesse.
Pour instruire l’orgueil, il faut le caresser.
Quand je guéris les cœurs que tu viens de blesser,
L’homme, ce vieil enfant, me prend pour la sagesse.
Tiens, faisons un pacte en ce jour :
Unissons-nous pour venger ton injure ;
Prends-moi pour ta dame d’Atour,
Et charge-moi du soin de ta parure.

Livre I, fable 1






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