L'audience des Oiseaux Claude-Joseph Dorat (1734 - 1780)

Tous les Oiseaux, si j'en crois leur gazette,
Etaient en proie aux fureurs des partis :
Des Libelles affreux demeuraient impunis,
Malgré leur audace indiscrète.
On scrutait dans les cœurs, on choquait les esprits.
Le Sénat se plaint à grands cris,
Et demande qu'on lui permette
De prononcer sur de pareils délits.
Assailli de plus d'une instance,
Jupiter y consent : un Aigle, consommé
Dans la haute Jurisprudence,
Celle au moins du Peuple emplumé,
Doit ratifier la sentence :
Pour Président on l'a nommé.

LA Pie, en sautillant, au Tribunal s'avance ;
Elle avait du crédit et de l'autorité :
Vous savez bien, dit-elle, avec l'air d'importance,
Qu'en mes discours précis, toujours pleins de substance,
J'abhorre la prolixité.
« Il est, dit l'Auteur du Libelle,
Certains oiseaux bavards, étourdis et voleurs,
A tout propos vantant leur zèle,
Se targuant de franchise et hardis imposteurs.
Ces évaporés là font taire la sagesse,
Sous de vains sons étouffent le bon sens,
Et deviennent enfin, à force de souplesse,
Des personnages éminents ;
Il faut en éteindre l'espèce. »

Que ce trait me regarde, on n'en saurait douter ;
Et cependant, sans me faire une grâce,
Chacun ici peut attester,
Qu'à mes talents j'ai du ma place.
Je finirai, comme j'ai commencé,
Bravant de vaines jalousies :
Que l'on me cite un état policé
Qui ne soit pas gouverné par des pies,
Et mon arrêt est prononcé.
Elle saute et se tait. Le Milan se présente :
Son front tristement abattu,
Peint sa belle âme et sa candeur touchante,
Et les malheurs de la vertu.
Tout le Sénat est dans l'attente.

IL est, dit-il, des oiseaux carnaciers ;
Moi-même, je ne puis le taire.
Le satirique ajoute, avec un ton sévère,
Qu'ils sont l'effroi des métayers :
Je ne soutiens pas le contraire.
« Cruels, avides et pillards,
Ils dévorent, dans leur furie,
Poulets, tendres Pigeons arrivant à la vie ;
Et surtout les petits canards. »
A la rigueur, cela peut être :
Mais si l'Ecrivain imprudent
Pense qu'en ce portrait on doit me reconnaître,
L'imposture est affreuse et le crime évident.

Lorsque d'une voix attendrie
Le scélérat, jouant l'air consterné,
Eut achevé sa plaidoirie,
Paraît le hibou renfrogné,
Au maintien lourd, au regard étonné.
De babiller qu'on accuse une pie,
Le grand malheur, dit-il ! que, pour gloutonnerie,
Maître Milan soit ajourné,
Qu'importe encor ? Le fait est consigné :
Mais écoutez, la calomnie.

« Il est de stupides oiseaux,
Dont un grave dehors est l'unique mérite,
Du creux de leur maure effrayant les hameaux ;
Faits pour les brouillards du cocite,
Et fuyant l'ombre des berceaux. »

J'ai démêlé l'Auteur, malgré son art de feindre.
Ce n'est pas moi qu'on peint ; mais c'est moi qu'on veut peindre ;
On y voit clair, et, Messieurs, entre nous,
Je serais, puisqu'il faut le dire,
Plus sot que ces oiseaux qu'il nous peint dans leurs trous,
Si je doutais, qu'il eut prétendu rire
Et s'égayer, aux dépens des hiboux.

L'Aigle alors s'écria : loin d'ici, misérables !
La conscience vous trahit,
Et vos griefs ne sont point recevables :
L'innocence fait moins de bruit.
Ces applications, ces plaintes, ce dépit,
Prouvent assez que vos cœurs sont coupables.

Livre I, fable 2




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