Au temps que les humains, plus près de l'âge d'or,
Avaient su conserver un reste d'innocence,
Temps où parfois les Dieux daignaient encor
Les honorer de leur présence ;
Minerve forma le projet
D'aller voyager sur la terre ;
Mais comme l'œil humain n'était déjà plus fait
Pour soutenir l'éclat des torrents de lumière
Que répandait un Erre si parfait ;
Cette ingénieuse Déesse,
Ardente à s'occuper sans cesse
De la pénible fonction
D'arrêter les progrès de la contagion,
Chargea les neuf Sœurs du Permesse
D'imaginer quelque déguisement
Avec art calculé sur l'humaine faiblesse,
Qui, sous le voile heureux de l'agrément,
Pût ménager à l'austère Sagesse
Quelques moyens d'enseignements.

Pour la servir les Muses promptement
Lui composent une parure :
Assez bizarre accoutrement,
Où l'on voyait mêlés confusément
Tous les règnes de la Nature.

Tel qu'il était, le mensonger habit
A la Déesse eut le bonheur de plaire :
La Sagesse s'en revêtit,
Et parut sur la terre.
On la reçut partout avec civilités,
On l'appela la bonne Fable.
Elle disait la vérité,
Et ne laissait pas d'être aimable ;
Elle se fit en peu de temps
Un grand nombre de partisans,
Et de tout âge et de tous rangs,
Et de tous caractères,
En un mot jusqu'aux mères
Qui la montraient à leurs enfants,
Quoi qu'ils ne la comprissent guère.

Mais de tous ceux qui l'entouraient,
(Badauds, dont le monde foisonne,
Et que ses contes attiraient)
Les plus entendus l'admiraient ;
D'autres la trouvaient assez bonne,
Fort peu d'entre eux en profitaient,
Et bien moins encor se doutaient
Que ce fût Minerve en personne.

Fables et contes dédiés a Son Altesse Impériale Monseigneur le Grand Duc, Livre I, Fable I




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