La Fable de la Fontaine Augusta Coupey (1838 - 1913)

Un compère le Loup à son fils Louveteau
Lisait de La Fontaine un petit fabliau :
La raison du plus fort est toujours la meilleure,
Nous l’allons montrer tout à l’heure :
À ce passage-là, le Loup s’interrompit :
La Fontaine, dit-il, est un charmant esprit.
Sa morale me plaît. Je goûte sa parole,
Et comprends qu’en tous lieux, au collège, à l’école,
On l’enseigne aux enfants. Vous l’apprendrez aussi
Du maître auquel je vais vous conduire aujourd’hui.
Étudiez-le bien. Pour le prix de mémoire
Vous avez des rivaux ferrés sur le grimoire :
L’Anglais et le Français, le Russe et l’Allemand ;
Ce dernier écolier est le premier du rang.
Dépassez-le, mon fils. Sur les bancs de la classe
Il serait trop honteux que le sang de ma race
Arrivât le second. Rapportez-moi la croix,
Sinon, je vous maudis de ma plus grosse voix.
Le Louveteau revêt le modeste uniforme
D’une institution qui l’élève, et qui forme
Les générations à cet esprit nouveau,
Pervers pour le moral chez homme et louveteau.
Le jour des prix fixé, l’instituteur appelle
Les écoliers instruits, couronne leur modèle.
Le Loup fut consterné que, sans satisfecit,
Son fils n’eût remporté qu’un huitième accessit.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le paresseux, tancé, répondit à son père :
Les prix d’honneur, papa, se gagnaient à la guerre.
Des nombreux Allemands, les énormes canons
Leur valaient au concours les meilleures raisons.
La Justice et le Droit n’ayant plus une amorce,
Succombaient écrasés sous le poids de la force.
L’aigle et le Léopard avaient de tels succès
Que j’étais auprès d’eux petit chippe-poulets.
— Mais vous croquiez-moutons ? — Lorsque la faim l’ordonne.
La raison, disaient-ils, est de moitié moins bonne.
Tenez ! je crois, papa, que La Fontaine a tort.
La meilleure raison n’est pas celle du fort,
Bien qu’il le crie et tonne.
— Pour l’homme !… dit le Loup… mais dans nos bois, blanc-bec,
Au fabuliste aimé ne manquez de respect.

Livre V, Fable 15




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