La Révolution des Chiens Marc-Louis de Tardy (1769 - 1857)

Après de grands débats,
Des pourparlers et de longs dialogues,
Entremêlés d’émeute et de combats,
Le peuple chien resta soumis aux dogues ;
Et le pays, par eux bien gouverné,
Reçut le roi qu’il avait couronné.
Tout allait bien, mais grâce aux faiseurs d’épilogues,
Les chiens trouvaient leurs chefs taciturnes et rogues
Messieurs les mâtins,
Tracassiers et mutins,
Provocateurs de mauvaises querelles,
Firent si bien pour brouiller les cervelles,
Que cette sotte nation
Se mit encore en révolution.
Les roquets, gens hargneux, tenant du prolétaire,
Amateurs du désordre, en firent leur affaire.
Pendant la paix et son loisir,
Ils avaient à plaisir
Exercé leur talent pour la progéniture ;
Le nombre les servant dans cette conjoncture,
Les dogues et leur roi, surpris et désarmés,
Furent sous les verrous par décret enfermés.
Voilà donc les mâtins, les bassets, la canaille,
Faisant ripaille,
Se déchirant parfois pour contenter leurs goûts.
Ce bonheur dura peu. L’ost menaçant des loups
Un beau matin parut sur la frontière.
Nos fédérés avaient l’âme guerrière,
Mais n’étaient pas de taille à lutter un moment ;
Et des roquets la race tout entière
Périssait misérablement,
Si les mieux avisés n’eussent ouvert la porte
Et fait sortir les dogues promptement.
On vit alors combien est forte
L’affection qu’à la patrie on porte,
Quand de l’honneur on a le sentiment.
Les dogues et leur roi, chargeant de bonne sorte
Sur les loups tout surpris firent un tel houra,
Que la victoire aux canins demeura.
Après un tel service,
La concorde régna comme elle règne en Suisse.
Le roi, l’épée au côté,
Reprit la main de justice ;
Et ce peuple de chiens sut que l’autorité
Est un moyen de gloire et de sécurité.

Fables, 1847, Fable 28




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