La Bergère et le vieux Soldat Fables du bonhomme de la Vallée du Perche (XIXème)

Un gracieux souris, parole de tendresse,
Serments, mille autres jeux d'amour
Durent un jour :
Sur les ailes du temps s'envole la promesse,
Puis le cœur, à son tour.
Les sages, s'il en est, préféreront bergère
Simple et naïve, à la ruse étrangère,
Au cœur ouvert à la pitié,
Qui connaît peu l'amour, mais se prend d'amitié
Pour le malheur et la misère.
Par les dieux,
Fille des champs jamais ne jure;
Mais sentiment qui se peint dans ses yeux
Toujours dure.
La main qui caresse mouton
Avec abandon,
Et lui donne pâture
De fleurs,
Soulage la nature
En pleurs.
Dans les champs, sous la feuillée,
Ou sur la mousse des bois,
À l'heure encor de la veillée,
Que de fois
Le pèlerin, dans son voyage,
A rencontré cœur de village
Bon, sensible, divin,
Et qui l'aida dans son chemin !
Pauvre vieillard, au hameau, c'est un père
Pour jeune bergère;
C'est un ami, c'est un frère
Pour tous ceux de son âge. A table du festin
Que prépare la fermière,
Il peut venir, soir et matin,
Oublier la misère:
L'étable, du sommeil lui fournit les pavots.
A mon croquis, lecteur, daigne sourire:
Ce que j'ai vu, je vais le dire
En quelques mots.

Courbé sous les douleurs, et loin de sa patrie,
Un vieux soldat touchait au terme de la vie,
Il creusait son tombeau...
« La roche du désert couvrira donc ma cendre!
Encore quelques jours et j'aurais pu la rendre
Au sol de mon hameau...

Bien jeune, je compris les accents de la gloire;
Je suivis l'étendard que guidait la victoire
Dans les champs ennemis.
L'étoile de l'honneur est mon seul héritage;
Le laurier des combats est le plus noble hommage
D'un brave à ses amis.
Vains regret! j'abandonne à la terre étrangère
Mes soupirs a mes vœux, mes cris, ma plainte amère,
Jusqu'à mon souvenir...
A de telles douleurs, je le sens, je succombe... »
Et son front incliné déjà touchait la tombe.
N'a-t-il plus d'avenir !

Un troupeau bondissant paissait sur la colline;
La bergère entendit de la roche voisine
Cet hymne du trépas...
Elle accourt... le vieillard se relève en silence...
« Mon père, du courage! et vous verrez la France;
Je vais guider vos pas. »

Un pénible trajet les conduit au village
Qui rappelle au soldat les plaisirs du jeune âge
Et la paix du berceau.
« Je respire, dit-il, et je suis sans alarmes :
Sur le sein d'un ami le trépas a des charmes...
Qu'on me creuse un tombeau ! »

Le soleil se couchait plus loin que la montagne.
Quand le flambeau du jour rendit à la campagne,
Le pur éclat des cieux ;
Une vierge à genoux, ange de la prière,
Répétait en pleurant : « La terre soit légère
Aux dépouilles du preux ! »

ÉPILOGUE

C'est assez ; j'aperçois des saules de ta rive
Les boutons poindre et verdir :
Or, comment retenir
Muse simple et naïve ?
Le berger et son chalumeau
La rappelant à la prairie ;
La voyez-vous rejoindre le troupeau
Bondissant sur l'herbe fleurie ?
Je la suis ; sous ses pas
Vont naître le lis et la rose:
La violette semi-close
A déjà percé les frimas.
Tout nous ramène au bocage...
Mais tandis que, sous le feuillage,
Je retrouverai mes brebis
Et mes amis,
Que le coeur des bonnes mères,
De ma muse et de moi conserve souvenir.
Je tarde trop; un doux zéphir
Me rappelle auprès des bergères :
Adieu! — Pour jamais! sans espoir !
— Bonnes mères, au revoir !

Livre III, fable 15




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