La Bergère et le Ruisseau Eugénie et Laure Fiot (19ème siècle)

Le plus paisible des ruisseaux
Promenait mollement ses eaux
Le long d'une plaine fleurie :
Tout en arrosant la prairie,
Il charmait les échos des bois
Du doux murmure de sa voix.
Une jeune Bergère au bord était assise,
Et pensive, elle contemplait
Son limpide cristal caressé par la brise.
« Bon ruisseau, lui dit-elle, apprends-moi le secret
De ta course capricieuse. »
Le ruisseau répondit : « Belle questionneuse,
Dans la montagne est mon berceau,
Et j'en suis descendu, clair et simple ruisseau,
Pour gagner lentement la rivière voisine,
Avec laquelle il faut que je chemine.
Ensemble nous irons nous jeter dans les flots
Qui creusent le lit de la Seine ;
Et dans le plaisir ou la peine,
Je côtoierai doucement ses îlots
Ou j'éprouvai la tourmente,
Triste effet de l'orage et d'un trop long détour.
Suivant son invincible pente
Avec moi, le fleuve, à son tour,
Se perdra dans les mers profondes
Qui forment la limite et le lien des mondes.
Le soleil viendra m'y pomper :
Et, sous une forme nouvelle,
Le nuage au néant me faisant échapper,
J'espère, me rendra ma montagne éternelle...
Je t'ai dit mon destin, la belle,
Daigne aussi m'apprendre le tien. »
La bergère reprit : « Moi, j'ai quitté ma mère
Pour contracter un doux lien ;
Comme toi, je suis ma carrière,
Sous un ciel ou sombre ou serein ;
Aujourd'hui calme et demain agitée,
Je vis tantôt heureuse et tantôt tourmentée.
Quand tu cours à la mer, moi, je cours à la mort ;
Tous héritiers du même sort,
Mes enfants, après moi, devront tenir ma place ;
Mais mon esprit qui vient du ciel,
Quoi que toujours le destin fasse,
Y devra retourner, car il est immortel !!!

Fables nouvelles, Livre II, Fable 1, 1851




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