Un assez bon acteur qui s'appelait le Prince,
Dont les rares talents faisaient foule en province,
Fut alité cinq à six jours.
Cette maudite maladie,
Chez les habitués, interrompit le cours
"Des plaisirs de la comédie.
Car toujours pour le connaisseur
Ce fut grande mésaventure
De voir, au lieu d'un bon acteur,
Sur le théâtre une doublure.
Voulant du public bienveillant
Reconnaître l'empressement,
A peine sa santé fut-elle rétablie,
Que sur la scène on vit cet enfant de Thalie.
Le plaisir de le voir agite les esprits ;
Voilà qu'on bat des mains et qu'on pousse des cris,
Comme en pareille circonstance
Cela se pratique à Paris.
L'accueil fait, l'orchestre commence,
Et tout le chœur au même instant
Entonne, au nom du Roi, le distique suivant :
Le prince est en santé, citoyens, que l'on voie
Éclater parmi vous les plaisirs et la joie.

Au mot de prince, notre acteur
Ose prendre pour lui cet hommage flatteur,
Et d'un petit air d'importance
Il remercie et fait sa révérence.
Le parterre malin remarquant son erreur,
Ordonne que le chœur aussitôt recommence.
L'histrion, boursoufflé d'orgueil
(Son espèce, on le sait, n'en est pas dépourvue),
Émerveillé de cet accueil,
Prêt à perdre l'esprit, de tout côté salue.
Mais tandis qu'en saluts le drôle s'évertue,
On fait sur lui haro, les sifflets vont leur train.
Le bienveillant public, pour prix de sa bévue,
Le régale d'abord de ce joyeux refrain,
Et vous renvoie après cet orgueilleux faquin
Continuer ses saluts dans la rue.

Il est, n'en doutons point, bien des gens ici bas
Qui se seraient conduits de même, en pareil cas,
Que ce joueur de comédie,
Car chez l'homme l'orgueil est une maladie.

Livre II, fable 5




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