Un renard fort astucieux
Pérorait la gent moutonnière ;
Il disait aux moutons : Vous êtes malheureux.
Il désapprouvait la manière
Dont les chiens du berger agissaient envers eux.
Ils vous tiennent dans l'esclavage,
Sous prétexte de vous garder.
Secouez votre joug ; le parti le plus sage
Pour en venir à bout, est de tout hasarder.
Tel était l'avis salutaire
Que leur donnait notre madré compère ;
Mais le motif se devine aisément,
Quand on sait que le fourbe était un émissaire
Qu'un loup avait mis en avant,
Et qu'il devait avoir bonne part à la chère
Qu'aux dépens des moutons eût fait l'autre vaurien,
Si lui-même avait pu mener l'affaire à bien.
Un vieux bélier qui connaissait l'histoire,
L'ayant très bien compris, dit : Grâce à ma mémoire,
Je sais où tend ce perfide discours :
Tu veux comme jadis, nous ôtant tout secours,
Que nous soyons au loup livrés sans résistance,
Afin de lui servir, comme à toi, de pitance ;
Et pour éviter le danger,
Par ton astuce cruelle,
Nous soustraire à la tutelle
Et de nos chiens et du berger.
En achevant ces mots, voilà qu'il les appelle.
Plein de frayeur, notre renard
Veut se sauver ; mais il était trop tard.
Le drôle fut atteint de la bonne manière
A coups de dents et de bâton ;
On envoya l'orateur mercenaire
Pérorer aux enfers les troupeaux de Pluton.
Si partout on avait l'adresse
De se défier prudemment
De tout renard de cette espèce,
On vivrait plus tranquillement.