Les Animaux comédiens Antoine Houdar de La Motte (1672 - 1731)

Gillot, mon frère en Apollon,
Car ce n’est pas par fantaisie
Que la peinture avec la poésie
Fraternise au sacré vallon ;
Leur origine en effet est pareille ;
L’une et l’autre est un don des cieux :
Ce que par les discours l’une peint à l’oreille,
L’autre par les couleurs sait le conter aux yeux.
Les animaux qui parlent dans mes fables,
Doivent agir dans tes tableaux.
Montre-les sous des traits naïfs et véritables ;
Que sous ta main, quadrupèdes, oiseaux,
Insectes, que tout prenne une âme.
Vole plutôt au ciel y dérober la flamme
Dont Prométhée autrefois anima
Le corps humain que lui-même il forma.
Argumente par ton génie
Contre l’orgueil cartésien
Dont la logique aux animaux dénie
Crainte, désir et tout : je n’y souscris en rien.
Je les fais raisonner ; et ton art, je m’en flatte,
M’empêchera de paraître menteur :
Tout animal par toi va dire au spectateur :
Qu’en pensez-vous ? Suis-je automate ?
Les animaux, un jour jouaient la comédie.
Théâtre artistement formé de rameaux verts ;
Dans les entr’actes symphonie
D’oiseaux, de rossignols experts.
Le plus beau cependant n’était pas l’harmonie.
Ce qui se faisait plus louer,
C’était l’assortiment des rôles au génie
Des acteurs qui dévoient jouer.
Le lion fait le roi ; roi qu’il était lui-même,
Doute-t-on que sa majesté
Ne soutint bien l’honneur du diadème ?
Qu’il ne prît, comme il faut, le ton d’autorité ?
Le taureau fait l’amant ; air noble, mine haute,
Et vive flamme dans les yeux ;
Passion ne lui faisait faute ;
Sentant ce qu’il disait, sentant même encor mieux.
Le chien prudent et plein de zèle,
Était de l’amoureux le confident fidèle.
La génisse à la blanche peau,
Parée encor de sa jeunesse,
Faisait le rôle de princesse,
Recevant fièrement les soupirs du taureau.
Le tigre pour régner ménageait une ligue ;
D’un vrai conspirateur il avait le maintien :
Bref, afin qu’il n’y manquât rien,
Le renard conduisait l’intrigue.
Le beau spectacle que c’était
Qu’un choix de tels acteurs, tous dans leur caractère !
Était-ce une action que l’on représentait ?
Non, c’était le vrai même ; on ne pouvait mieux faire ;
C’était la bonne troupe : aussi l’on s’y portait.
Mais, un singe un beau jour en levant les épaules,
Ô, dit-il, les pauvres acteurs !
Il gagea que lui seul jouerait tous les rôles,
Et ravirait les spectateurs.
On vous le prend au mot ; il joue,
Contrefait tout en moins de rien ;
Mais que servent ses sauts, sa grimace et sa moue ?
En faisant tout, il ne fait rien de bien.
Pour imiter le roi, sur ses pieds il se hausse,
Il fronce le sourcil, crie haut, fait l’emporté ;
Et ne met qu’une grandeur fausse
En place de la majesté.
Il fait l’amant sans grâce et sans délicatesse ;
Le confident sans zèle et sans discrétion ;
Met dans le rôle de princesse
Force mines, faux airs, mainte affectation ;
Dans le séditieux ne fait voir que bassesse,
Ne mêle aucun courage avec l’ambition.
Enfin au lieu d’un intriguant habile,
Il ne montra qu’un étourdi.
De sifflets redoublés l’acteur est assourdi.
Que ne se donnait-il pour bouffon, pour agile ?
Dans la farce on l’eût applaudi.
La vie humaine est une pièce,
Où nous avons notre rôle à jouer.
Chacun a le sien propre où nature le dresse.
En veut-on prendre un autre ? On se fait bafouer.

Livre IV, fable 18






Commentaires