Les Animaux législateurs Claude-Joseph Dorat (1734 - 1780)

Les Animaux, lorsque j'y réfléchis,
Sont à peu-près, ce que nous sommes :
Il est chez eux des Grands et des Petits ;
Les derniers sont vexés ; c'est tout un chez les hommes.
Ces derniers donc, avec raison,
Très amèrement se plaignirent,
Et jusqu'à l'antre du lion
Leurs cris à la fin retentirent.
Les moutons mêmes étaient las,
(On se lasse de tout) de servir de pâture
A Messires les loups errans à l'aventure
Et sur eux fondant leurs repas.
Enfin sa Majesté Lionne,
Quoique d'humeur un peu gloutonne,
Car c'est assez le tic des Potentats,
Veut qu'on assemble les états,
Quitte, jusqu'au jour pris, à ne manger personne.
Le Monarque plein de bonté,
Secouant sa longue crinière,
Ne prétend plus que l'on diffère :
Un beau rugissement marque sa volonté.
Pour rendre à l'aise la justice,
Il s'est assis sur un tas d'ossements :
Il allonge de là sa patte protectrice,
Signal de paix pour tous les assistants.
L'ours, empêtré dans sa fourrure,
S'avance, à titre de Greffier,
Tout prêt d'étouffer le premier
Qui voudrait blâmer son allure.
En habits chamarré, les tigres ont leurs rangs
Tous ces Messieurs grincent des dents ;
Et ce ton n'a rien qui rassure.

Quand par ordre on se fut placé,
Les députés, d'un air honnête,
Présentent humblement leur timide requête :
La faiblesse opprimée est toujours un peu bête,
Et qui plaide sa cause est bien embarrassé.
L'Avocat des, moutons bégaie et perd la tête.
Hors de cour !... l'Orateur à l'instant est chassé.

Sire Lion alors prend ainsi la parole :
Peres conscrits, appuis de mes projets,
Je m'attendris et je m'immole
Pour le bonheur de mes sujets.
Il est décent qu'un Roi quelquefois se régale,
Fût-ce aux dépens de ses vassaux :
Mais mon peuple gémit ; je dois finir ses maux,
Et rester sur ma faim royale.
Désormais je suis sobre ; (on frémit à ces mots)
Ce n'est pas tout ; j'entends qu'on dresse un code,
Ou de tous mes sujets on défende les droits :
Notre appétit doit leur être incommode ;
Il faut le réprimer et l'astreindre à des lois.

L'ORDRE donné sur le champ s'exécute :
On verbalise, on raisonne, on discute.
La panthère consent ; le tigre contredit.
Il allègue le droit, il produit la coutume,
Et l'antiquité du délit,
Par un jeûne cruel veut-on qu'il se consume ?
A ses discours prudents, quoique pleins d'amertume,
Tout le banc des loups applaudit,
On compte les voix ; la loi passe.
Au faible, en apparence, elle assure un appui :
Mais il n'est point de Grand, si peu qu'il ait d'audace,
Qui ne puisse, au besoin, l'interpréter pour lui.
On se sépare, en bonne intelligence,
Comme cela se pratique à la Cour :
Puis, dès le lendemain, avant l'aube du jour.
Le brigandage recommence.
Les Hyènes, les Léopards,
Se sont remis à leur régime.
Les chapons sont croqués, par acte illégitime,
Citant la loi sous la dent des renards.
Un Commentaire obscur embarrasse le texte,
Et le plus fort a toujours un prétexte.
Enfin, ces pauvres animaux,
Qui comptaient sur des jours paisibles,
Des plaisirs sans effroi, des défenseurs nouveaux,
Et sur des lois incorruptibles,
Dans leurs Juges souvent rencontraient leurs bourreaux.

Adieu la paix, l'ordre et la république !
Pour eux l'unique fruit de cet arrangement,
Ce fut d'être étranglés par forme juridique,
Au lieu de l'être injustement.

Livre IV, fable 7




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