Le Cheval et le Lion Antoine Houdar de La Motte (1672 - 1731)

Doutez, mortels, doutez ; car vous ne savez rien.
Je ris, quand je vous vois prendre l’affirmative ;
Je ris quand je vous vois tenir la négative :
Doutez, vous dis-je encor ; cela seul vous sied bien.
Point de questions décidées ;
Vous n’avez qu’un petit cerveau,
Où voltigent quelques idées
Qui ne sont pas du vrai l’infaillible flambeau.
Il est ailleurs un océan immense
De vérités qui ne vous luisent point ;
Et votre être même est un point
Que vous sentez sans connaissance.
Après cela, pourriez-vous bien
En croire sur le reste un orgueil qui vous flatte ?
Apprenez seulement ce que savoit Socrate :
Sachez que vous ne savez rien.
Certain cheval natif de la Norvège
Voyageur d’inclination,
Était sorti de son climat de neige
Pour voir le monde ; il passe en Albion,
Puis en France, en Espagne, et poussant son voyage
Aborde enfin à l’africaine plage.
C’étoit-là que sire lion,
Prince absolu du voisinage,
Donnait son sens, son appétit pour loi.
L’étranger savoit vivre, et pour lui rendre hommage,
Il se fait présenter au roi.
L’audience est des plus superbes ;
Le lion est assis sur un haut trône d’herbes ;
Et sous un riche dais de rameaux enliassés :
Ses courtisans nombreux autour de lui placés,
Sur l’air du souverain composaient leurs visages.
Soyez le bien venu, dit-il, et commencez
À me raconter vos voyages.
J’ai du loisir ; parlez, et me réjouissez.
Sire, dit le cheval faisant la révérence,
çachez d’abord la différence
De mon pays à celui-ci,
Les hommes y sont blancs ; je les vois noir ici.
Là les campagnes et les arbres
Brillent d’une blanche toison,
Que le ciel y verse à foison
Les fleuves durs comme les marbres,
Se traversent à pied, portent d’énormes poids…
Ô l’insolent menteur ! Interrompt le monarque ?
Me croit-il une dupe ? En ai-je quelque marque ?
Est-ce ainsi qu’on impose aux rois ?
Notre voyageur quadrupède
Veut repartir ; il n’est plus tems.
Au diable le trompeur de gens,
Cria toute la cour : on vous le chasse ; il cède.
Aux coups de cornes et de dents.
Tel esprit fort, soit disant infaillible,
Nie avec même orgueil, tout ce qui le surprend.
Je ne le conçois point ; donc il est impossible.
Vrai syllogisme d’ignorant !

Livre IV, fable 17






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