Entre les dieux jadis survint un incident
Les uns voulaient perdre une ville,
Les autres la sauver ; ils s’échauffent la bile ;
Peu de raisons, grand bruit, et courroux imprudent :
On se raille, on s’outrage, et rien ne se décide ;
Déjà, l’un l’autre s’excédant,
Pluton branle sa fourche, et Pallas son égide,
Et le dieu des mers son trident.
Quoi, messieurs, dit Jupin ; quoi, pour une autre Troyes,
La guerre encor s’élèverait chez vous ?
Voulez-vous toujours qu’on vous croie
Des dieux capricieux et sous ?
N’a-t-on pas dit assez de sottises de nous ?
Holà, la paix, dit-il, la paix. Point de nouvelles ;
La paix n’était au ciel ; il fallut la chercher.
Va, Mercure, ajuste tes ailes ;
J’ignore où cette paix peut s’être allé cacher ;
Cherche-la vite et me l’amène.
Mercure part, arrive, et le tout d’une haleine.

Le voilà d’abord à la cour.
On sait que politesse habite ce séjour :
Le dieu croit tenir son affaire.
On s’y loue, on s’embrasse, on s’empresse à se plaire ;
Offres, soins obligeants, compliments faits au tour.
Bon, n’allons pas plus loin ; mais il se désabuse ;
Il voit bientôt que c’est traitresse ruse,
Que tout est divisé, qu’on se hait, qu’on se nuit,
Que la guerre est réelle, et le reste un vain bruit.
Aux tribunaux Mercure se transporte ;
Non pas qu’il crût trouver la paix chez les plaideurs,
Mais chez les magistrats : gravité les escorte ;
La paix règne en leur air, et semble être en leurs cœurs.
Mais il s’y trompe encor ; Thémis embarrassée
Ne peut les accorder sur le sens de ses lois ;
Chacun plaide pour sa pensée ;
Chicane brouille tout, les avis et les droits.
Des tribunaux Mercure court aux temples ;
Leurs ministres, dit-il, doivent les bons exemples ;
J’y trouverai la paix. Non pas la paix, je crois,
Monsieur le dieu ; mais bien discorde continue,
Sentiments opposés, haine, mauvaise foi.
L’un soutient son oracle, et l’autre sa statue ;
Chacun veut tout tirer à soi.
Voyons chez les savants ; car la science est une,
Dit le dieu ; ces messieurs doivent être d’accord.
Point du tout ; jalouse rancune
Au milieu d’eux est comme dans son fort.
Dispute à l’infini ; procédé malhonnête ;
Modernes, anciens, sont toujours en procès.
Homère étoat un dieu. Non, c’était une bête,
Dit l’autre : et des deux parts excès.
Mercure de ce pas s’en va dans les familles.
Que trouve-t-il chez les époux ?
Prudes et débauchés, coquettes et jaloux,
Maris caducs, femmes qu’on laisse filles,
Et s’en vengeant peut-être ; enfin les béatilles
De l’hyménée, ennuis, chagrins, dégoûts :
L’un dit blanc, l’autre noir ; voilà comme ils sont tous.
Entre frères autre discorde ;
Jalousie, intérêt, et toujours démêlés.
Ne trouverai-je donc personne qui s’accorde ?
Tous les cerveaux sont-ils troublés,
Dit Mercure ? Du moins les enfants et les pères...
Autre erreur, et nouveaux débats.
Il les trouve appointés contraires,
Ou les pères sont durs, ou les enfants ingrats.
Ô juste ciel ! J’ai fait une belle ambassade,
Disait déjà Mercure, en retournant aux cieux :
Mais comme en son chemin il détournait les yeux,
Il voit la paix assise, ainsi qu’une naïade,
Au bord d’une fontaine et sous de verts rameaux.
Ah, te voilà ; dit-il ? J’habite ces hameaux,
Lui répond-elle, avec ce solitaire.
Fort bien, reprit Mercure, à ce que je puis voir,
Non plus que nous, l’homme a beau faire,
Il faut être seul pour t’avair.
Encor avec soi-même a-t-on plus d’une affaire.

Livre IV, fable 16






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