« Est-il vrai qu'au village,
Pour vous, on parle mariage ?
Est-ce bruit de ville ou de cour?
Cœur sensible, innocent amour
Sont permis à jeune fille.
Vous allez donc, loin de votre famille,
Vous engager sans retour!
A votre âge,
L'on ne sait pas ce qu'est le mariage.
L'un vous dira : C'est un état divin:
Vous êtes aujourd'hui libre comme nous fûmes;
Mais croyez-nous, l'hymen est aimable et bénin,,
— Non pas ; c'est un roman en deux volumes
Recouverts do chagrin,
Reprend un autre... Écoulez, jeune amie,
Non tous ces vains discours,
Mais les conseils que de ma bonhomie .
Réclament natives amours. :
Je vous chéris depuis longues années
Pourquoi vous rider le front?
Qu'esprit de fille à se fâcher est prompt !
C'est que j'ai dit ; depuis longues années,...
Calmez-vous; et voici dates déterminées:
Je vous connais depuis longtemps
Attendez! dix-huit printemps;
C'est là juste votre âge.:
Mais finissons ce badinage.
Muse de la foi,
Viens à mon aide,
Inspire-moi!
Ecoute, jeune cœur, la terre prie, intercède
Pour toi.
Suis mes pas, allons au temple;
Là, que ton œil contemple
Humble et pieux,
Dans un imposant silence,
L'église déployer de sa magnificence
Le spectacle radieux.
Vois cette nef majestueuse et sombre,
Et ces cierges épars qui projettent dans l'ombre
Leur mystérieuse clarté:
Entends du fond du sanctuaire,
Du prêtre aux cheveux blancs la brûlante prière
Qui monte avec suavité;
Et ces chants mélancoliques,
Ces hymnes doux et purs que des voix angéliques
Jettent dans l'air comme un parfum :
Vois la foule à ces chants recueillie, attentive;
Puis la sainte oraison qui s'échappe plaintive
De cent cœurs qui ne font qu'un.
Puis sous les lampes d'or, aux deux côtés des grilles,
Ces beaux lys blancs, ces chastes jeunes filles
Qui, dans la poussière à genoux,
Devant le saint des saint, courbent leurs blondes tètes,
Doux anges qui du ciel ont déserté les fêtes
Pour venir prier avec nous.
Entends ces voix de l'orgue errantes dans l'espace,
Qui chantent comme un chœur de séraphins qui passe,
Ou comme doux écho des cieux ;
Ineffables concerts, flots de pure harmonie
Qui saisissent tout l'homme et font que le génie
Tombe étonné, dévotieux.
Entends aussi sanglots de ta famille
Qui, dans ce moment solennel,
Vient placer sur l'autel
Tout son bonheur... sa fille !
Entends enfin la voix de l'oracle du ciel :
— Au nom de Dieu, grave en ton âme
Son éternelle loi-,
Que la vertu de ses purs feux t'enflamme ;
Mets les devoirs entre le vice et toi.
Une épouse c'est un ange
De douceur;
C'est ineffable mélange
D'humilité, de pudeur
Acceptes-tu ce sacré ministère ?
Au nom du ciel, je te bénis :
Sois bonne épouse et tendre mère :
Jeunes cœurs, vous êtes unis.
— Bientôt autour de toi le monde tourbillonne.
Sourit, t'appelle ; et maint flatteur
Comme un essaim bourdonne
Près de ton cœur
Mais ne crains rien. Un instant loin du monde
Suis moi.
Ecoute, chère enfant; si tu deviens féconde
Que la fol
De tes fils soit l'héritage.
Jeune mère, à ton âge,
Pour les siens rêve honneurs,
Titres, fortune et grandeurs.
Prends garde! avant tout la sagesse
Embellit la jeunesse :
Sans elle, hélas! que de malheurs
Pour la vieillesse!
Apprends les maux et les douleurs
D'une brebis ; jeune mère
Comme elle, je l'espère,
Tu ne verseras pas des pleurs.
« Dors, cher agneau, pour toi ta mère veille :
Le jour est long; le soleil «st brûlant....
Venez ici, puisque mon fils sommeille,
Songe aimable et riant.
Venez! trop tôt il connaîtra la vie ,
Chemin semé d'épines, de douleurs,
Où, rose fraîche et jolie
Se flétrit sous les pleurs :
C est un tombeau recouvert de feuillage ;
Ici de l'or, et plus loin des haillon <,
Vice et vertu Pitoyable assemblage
Que nous nous disputons!!!
A ton réveil, mon fils, un cœur de mère
Partagera tes plaisirs, tes chagrins...
Ah! que toujours un cœur aussi sincère
Préside à tes destins !
Bientôt la mort frappera cette amie
Qui pourrait seule alléger ton fardeau...
Et déjà l'œil oblique de l'envie
Menace ton berceau.
Si le présent me fait verser des '.armes,
Mon scia palpite au nom seul d'avenir...
Mes vœux pour toi, vaste sujet d'alarmes,
M'arrachent un soupir.
Je l'avouerai; mon âme maternelle
Demande au Ciel des talents, des trésor-...
Ainsi priant, à ton chevet je veille;
Mon fils, repose et dors.
Dors ; car je sais que ma vive prière
Ne te promet que des jours malheureux,..
Ah! qu'il est dur pour le cœur d'une mère
De former de tels vœux !!!
Comment! la honte et la triste indigène»',
L'obscurité partageraient les jours!
Plutôt mourir... plutôt de son enfance
Interrompre le cours.
Oui, meurs, mon fils, espoir île ma vieillesse,
Avant qu'un jour tu ne sois avili...
Je dis encor : Meurs! meurs! à la détresse
Je préfère l'oubli.
De feux actifs je me sens dévorée...
J'étouffe... O Ciel! j'ai demandé sa mort...
Ta mort, mon fils! Eperdue, égarée,
J'allais briser ton sort!!!
Vis, vis plutôt; pour que je sois heureuse,
A tes succès j'ai besoin d'applaudir;
Et ta grandeur doit me rendre joyeuse
A mon dernier soupir.
Mais les talents, les honneurs, la richesse
Font des jaloux, de pâles détracteurs;
Tout vient salir la sublime noblesse ,
Fille de nos labeurs!
Je sens combien alors pèse la vie,
Quand nous plions sous ce triste fardeau ;
Je vois les traits de l'implacable envie
Nous creuser un tombeau...
Soit! mon enfant; et le vœu de ta mère,
Son dernier cri, sont encor : Sois puissant!
Tu ne meurs pas si je lis sur ta bière:
Il était noble et grand.
L'heure a sonné pour mon fils qui sommeille ;
C'est le signal de son premier effort.
Qu'un doux baiser et l'inspire et l'éveille;
Qu'il réponde à son sort ! »
L'agneau grandit, et son âme brûlante
Ne rêve qu'honneurs et plaisirs.
Brebis joyeuse, mais tremblante ,
Voyait dépasser ses désirs-
Son fils avait des charmes ,
Mais dégoûtantes moeurs.
Vinrent les larmes
Et les douleurs
Pour l'imprudente mère...
Elle gémit, se désespère...
Mais son fils ambitieux,
Dans sa démence,
A méprisé les dieux...
Et la licence
Le brûlant de ses feux,
Tout jeune, il descend à la tombe...
Brebis à ses chagrins succombe...