Le Bouc et la Brebis Prosper Wittersheim (1779 - 1838)

Un bouc, vert encor, fanfaron,
Un jour, en caressant sa barbe vénérable,
Dit à clame brebis : « Je suis un vieux barbon,
Mais, plus que tous vos tiers béliers, capable.
Le nom de loup, seul, vous ferait trembler ;
Je n'ai jamais, moi, de telles faiblesses,
Je brave tout, rien ne peut m'accabler ;
La lâcheté fait naître cent bassesses.
— Mon voisin, dit la dame, attendez que Le lonp
Vous montre sa gueule affamée,
Vous en rabattrez de beaucoup ;
Mon expérience est en ce point consommée.
Non, ceux qui sont dans la prospérité
Conçoivent peu l'adversité.
Avant de condamner ceux qui souffrent, de grâce,
Mon ami bouc, mettez-vous à leur place. »

11 sort, en riant de pitié,
Et dit : « Les vieilles déraisonnent
Et les jeunes bourdonnent. »

Près d'une haie, où s'est réfugié,
Poursuivi par la meute, un vieux loup inquiet,
Le bouc passe, le voit ; une terreur panique
À l'instant le saisit, il s'élance éperdu,
La peur lui donne la colique ;
Il fuit, saute, culbute, et d'honneur peu se pique,
Chez la brebis revient, de fatigue rendu.

« Tu disais vrai, commère, et je demande grâce,
S'écrie enfin le bouc échappé du danger.
Je te baise la patte ! Ah ! sans être à sa place,
Des maux d'un autre on ne saurait juger ! »

Livre V, fable 12




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