Une jeune brebis innocente et timide
Fit la rencontre en son chemin d'un ours,
Qui bien repu pour lors, et partant moins avide
L'eût appendue au croc volontiers pour huit jours ;
D'en rire en attendant il lui prit fantaisie.
« Approches, lui dit-il, ma mie,
« Ça, contes-moi tous les méchants propos,
« Que vos bergers, que vos troupeaux
« Tout en nous maudissant mettent sur notre compte ;
« Sans cause à dire vrai, j'ai honte
« De passer pour méchant, pour mériter le hart.
« La vérité par moi fut toujours bien reçue.
« Voyons, passe-nous en revue,
« Commence ; que dit-on de messire renard ?
« Pour les ruses je crois qu'il en vaut bien un autre.),
La pauvrette., pour plaire à notre bon apôtre,
Répond sans hésiter que ce n'est pas celui
Qu'on redoute le plus ; que malgré sa finesse,
Ses pièges et ses tours d'adresse,
Chez les moutons on rit de lui ;
Et l'ours également de rire
D'un petit rival qu'on déchire.
« Poursuivons et dis-moi., chez vous
« Comment sont vus messieurs les loups ?
« - N'en parlez pas ; ce sont de grands coupables,
« Des rodeurs sans pitié, des êtres punissables
« Qu'il faut traquer, refouler désormais
« Dans d'inaccessibles forêts. »
L'ours d'applaudir encor ; mais une Sibérie,
Promise pour un temps prochain
x Aux loups coupables d'avoir faim
Lui paraît de la part de toute bergerie
Assez bonne plaisanterie.
« A notre tour, des ours., de moi que pense-t-on ?
« Ne crains rien, ma petite mère.,
« J'accepte tout, et j'en ris sans colère ;
« Peut être, on t'aura dit que j'étais un glouton,
« Un brutal, conviens-en ; - ce serait malhonnête
« Répond notre innocente bête,
« Mais c'est, vousl'avez dit, un tort que l'on vous prêle ;
« C'est une erreur, je n'en saurais douter.
« - Pourquoi dès-lors la répéter ?
« C'est propager le mal, semer la défiance,
« Empêcher entre nous une heureuse alliance.
« Que l'on accuse ainsi les renards et les loups,
« C'est très-bien, mais moi, non ; pourtant pour qu'entre nous
« Tout fâcheux souvenir s'efface,
« Viens ma chère que je t'embrasse ; »
Et la pauvre brebis dans les grifses de l'ours
Paya bien cher un imprudent discours.
D'un méchant, loin de lui, médire,
Déjà c'est témérité ;
Mais en face, la vérité
N'est pas toujours bonne à dire.