Le Richard et ses Héritiers Fortuné Nancey (? - 1860)

La richesse peut tout contre les coups du sort,
Que peut-elle contre la mort ?
A-t-on exemple que le riche
Qui de son or qu'il affiche,
Achète jusqu'au dévouement,
Ait pu jusqu'à ce jour, au suprême moment,
S'affranchir du tribut par un remplacement ?
Lorsqu'à sa porte s'agenouille
Le chameau noir qui vient marquer sa fin.
Il faut partir ; et le chagrin
Est de laisser cette riche-dépouille,
Qu'attendent d'ingrats familiers,
Devenus trop souvent d'avides héritiers.

Un vieux richard à la loi de nature,
Venait de satisfaire ainsi,
Il était sans progéniture,
Libre partant, et pouvait, Dieu merci,
Récompenser amis, serviteurs, et je pense.
Quelque vieille compagne aussi.
Comme il en espérait longue reconnaissance,
Il crut qu'à sa mémoire il fallait les lier,
Et leur partagea tout, sans en rien oublier.
Tout alla bien d'abord ; la nouvelle famille
Crut bon de s'attendrir et de se signaler ;
On vit donc s'élever une tombe, une grille,
Et les larmes aussi couler.
Mais la douleur peut-elle être éternelle,
Et de quoi l'or ne console-t-il pas ?
Comment du moribond se frapper la cervelle !
Comment d'un voile noir assombrir sa prunelle ?
Mieux vaut n'y plus songer et du deuil on est las.
Tels étaient les projets, lorsqu'on avait à peine
Vu s'écouler une quinzaine.
Après tout, les regrets font-ils donc revenir ;
Et faut-il pour les morts, dans une douleur vaine,
Voir aussi les vivants mourir ?

Ainsi donc le chagrin s'envole,
Ainsi vers les plaisirs on tourne la boussole.
Mais avec l'héritage était aussi resté,
Un vieux chien, du défunt le compagnon fidèle,
Et sur lequel gens de l'hérédité
Auraient bien dû prendre modèle.,
Ce véritable ami., ce digne serviteur,
Jusqu'à son dernier gîte avait suivi son maître.
Lui mort, adieu son protecteur.
Un seul coin du tableau bien souvent fait connaître
Ce qu'on voudrait cacher ; après le bienfaiteur
Oublier son bon chien ! quoi 1 cela devait être ;
Le pauvre animal après tout
Devenait importun, car l'oreille pendante,
Il semblait regretter une personne absente,
Et chez les héritiers la peine était à bout.
Quand le reproche est là, chaque jour, à toute heure
Est-il sage qu'ainsi sous vos yeux il demeure ?
Non, son arrêt bientôt fut prononcé,
Celui qui pleurait seul un beau jour fut chassé.
Comme on n'y songeait plus, un an étant passé
, Parmi les plaisirs et les fêtes,
Advint que quelques folles têtes
Résolurent d'aller, par divertissement,
Voir du défunt le monument.
Mais quel spectacle les étonne !
Sur cette tombe à défaut de couronne
On reconnait, encor qu'on l'abandonne,
La dépouille du pauvre chien.
Au maître qu'il pleurait, avait-il voulu dire,
En vain de ton hôtel, je me suis vu proscrire,
Vivant, j'étais fidèle, eh bien !
Mourant, encor je serai ton gardien.

Apprends riche par cette fable,
Que l'amitié la plus durable
Est celle où ce lien est désintéressé.
Puis ne crois pas que la reconnaissance
Pèse jamais dans la balance
Au poids de l'or par toi laissé.
Mieux que dans le Léthé, dans les eaux du Pactole
On trouve avec l'oubli, le secret qui console.
Plus riche l'héritier sera,
Plus vite hélas ! il oubliera.

Livre III, fable 1




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