Le singe a le don d'imiter,
C'est un point qu'en tous temps on n'a pu contester ;
Un autre aussi certain et propre à son espèce,
C'est qu'il a le don de l'adresse.
Rien de surprenant donc à ce fait tout nouveau,
Qu'un singe un jour avait fait un tableau.
Puis afin que l'on pût juger de son mérite,
Comme Appelle autrefois, il l'avait exposé
Devant des connaisseurs d'élite,
Par qui son œuvre allait être prisé.
L'ours, le premier devant la toile,
L'examine de toutes parts,
Et son gros corps pendant longtemps la voile
À tous les curieux regards.
On attendait avec impatience
Qu'il eût formulé son avis,
Sur la forme et le coloris,
Mais en se retirant il garde le silence,
Laissant tout autre avant lui s'expliquer.
Le bœuf en fait autant et ne veut pas risquer
D'approuver hautement, ce qu'au fond de son âme
Il trouve bien, pourtant, mais que peut-être blâme
Un autre plus expert que lui.
C'est ce que font aussi quelques lourds personnages,
Gens graves et se croyant sages.
L'àne approche à son tour, et le seul est celui
Qui faisant le docteur, ne voit rien, et prononce.
Comme il n'aurait pas fait si bien,
Il trouve qu'il est bon de n'en admirer rien.
A cet avis qu'avec bruit il annonce,
On voit les indécis aussitôt se ranger :
L'artiste ainsi s'entend juger.

Je vois ici deux sujets de morale ;
En premier lieu, c'est que le plus souvent,
C'est la sottise ou la cabale
Qui font ou le succès, ou la mort d'un savant.
Le second point, fort triste à reconnaître
Quand le contraire serait mieux,
C'est qu'il en est fort peu qui de l'muvre (l'un maître
Vont juger par leurs propres yeux.
L'on se croit sage alors que l'on opine,
Ainsi que le voisin a pu le conseiller ;
Prend-t-on son bras, sa main pour travailler ?
Est-ce avec son pied qu'on chemine ?
Pourquoi donc alors ne vouloir
Que par les yeux juger et voir.

Livre III, fable 5




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