C'est l'hiver : que Dieu nous protège !
La terre est couverte de neige.
Le ruisseau, qui sort du lavair,
Bordé de blanc, paraît tout noir.
Là-bas, sur le canal, la petite flotille,
Prise dans les glaçons, se dresse : Tout scintille,
Le cordage, les mâts, comme sucre candi.
Un grand voile, d'argent et de perles ourdi,
Flotte sur les buissons, s'accroche aux aubépines,
Aux pommiers, se suspend aux pignons des chaumines.
La sente, la mare, la cour,
Tout est désert : La charrue immobile,
Abandonnée au milieu du labour,
Dresse à l'angle du champ son Y immobile,
Où viennent les corbeaux se poser tour à tour.
C'est splendide... c'est lamentable !
L'étable,
Ce rustique salon de nos pauvres hameaux,
Vaste et chaud, double confortable !
Assemble pêle-mêle au milieu des troupeaux
Cultivateurs et pastoureaux.
Le soir, au son de la musette,
Guillot, qui ne dort plus, la laitière Perrette,
Garot, le raisonneur, et madame Paquette
Enlacés agréablement
Sautent ensemble lourdement,
Avec de petits cris pleins de contentement.
C'est si bon, les longues veillées !
Et cependant, mi-réveillées,
Derrière les piliers, les vaches, par moment,
Ouvrent leurs grands yeux ronds emplis d'étonnement.
Certain soir de décembre, au fond de la chaumière,
Enfoncé jusqu'au cou dans la bonne litière,
Un agneau dans un coin causait avec sa mère,
Bêlant tout bas
Afin qu'on ne l'entendît pas.
- Comme c'est ennuyeux, disait-il, les frimas !
J'aime bien mieux les prés, le gazon, la bruyère.
Revienne vite le printemps ;
- Pourquoi vouloir toujours accélérer le temps,
Répondit sagement la mère ?
Les herbages en fleurs, sans doute, c'est bien doux,
Mais les bois sont prochains, mais ils sont pleins de loups.
Souviens-toi de ton pauvre frère,
Enlevé par un monstre à la dent meurtrière,
Au détour du ruisseau qui borde la clairière.
Rappelle-toi, triste destin,
La chèvre de monsieur Séguin.
Je l'ai connue, hélas ! elle était très gentille,
De même âge que moi, blanche et bien bonne fille.
Mais quoi !
Elle n'admettait d'autre loi
Que son caprice. Aussi, pleine d'un tendre émoi,
Je lui disais souvent : Jeanne, prends garde à toi-.
Ne t'éloigne pas, ma biquette.
Elle me répondait par une pirouette.
Un soir, je m'en souviens, un beau soir de printemps,
Elle ne revint pas des champs - :
Je ne fermai pas l'œil, tant j'étais inquiète !
A peine le soleil, le lendemain matin,
Par la fente de l'huis pénétrait dans l'étable,
Nous entendîmes tous un cri sourd, lamentable,
Et puis les hurlements du loup [..Monsieur Séguin
Courut avec ses chiens au bord de la clairière !
Il fouilla les taillis,, les clos, la sapinière :
C'était trop tard ! Du moins, ici,
Perdus au fond des bois, enterrés sous la neige,
Grâce au chaume qui nous protège,
Nous pouvons dormir sans souci.
Jouissons des douceurs que la saison nous donne.
Même en hiver, la vie est bonne.