Le Clocher et le Château Léon Riffard (1829 - ?)

On m'a raconté qu'un beau soir
Le vieux château du Roi-Trouvère,
Dont la masse imposante, encore belle à voir,
Semble sortir du Rhône, en face de Beaucaire,
Dit au clocher voisin, dont la flèche légère
Se dresse dans la nue à deux pas du manoir :
« Vrai, je n'admire pas ta fluette structure :
Tous ces trèfles, tous ces fleurons,
Et ces festons
Dont la fragile découpure
Fait une piteuse figure
Auprès de mes puissants et larges bastions,
Voilà de vraie architecture !
Mais je ne te veux pas de mal.
Et je n'ai qu'une peur, c'est qu'un jour le mistral
Emporte ce hochet, qui vainement me nargue,
Et le lance du coup aux marais de Camargue !
Prends garde au vent : il te sera fatal. »
L'autre lui répondit : « Rassurez-vous, compère,
Cette mèche, bien que légère,
Est solide comme métal.
C'est la Foi qui créa nos vieilles cathédrales,
Dont la pierre et le fer défient tous les coups.
C'est elle qui posa les vénérables dalles
Où les siècles passés ont usé leurs genoux,
Les piliers élégants, les contre-forts robustes
Où s'appuient les nefs aux splendides vitraux,
Les portails, les jubés, et les clochers augustes
Toujours debout, parmi les débris des châteaux.
Toi-même, toi, si fier de ton antique gloire,
Séjour du roi René, cher à nos Provençaux,
Toi dont j'ai vu la longue histoire
Dérouler à mes pieds ses mobiles tableaux,
Que de fois je t'ai plaint ! Au sein de la bataille,
Où tonnaient les pierriers avec les fauconneaux,
Quel bruit, quelles clameurs, et quel choc de ferraille
Sortaient de la fumée où sombraient tes créneaux !
Jamais je n'en reçus la moindre éclaboussure :
Le culte de la Sainte ' était comme un rempart
Plus solide pour moi que la meilleure armure.
C'est toi qui recueillais tous les coups. Pour ma part,
Je n'eus pas une égratignure.
Mieux que toi, contre les soudards,
Je me défendais sans rien faire.
Et bien des fois mon sanctuaire
Dans la crypte sacrée abrita les fuyards.
Quant au mistral, il est encore
Le plus sûr, le plus prompt de tous mes serviteurs :
C'est lui qui va, devant l'aurore,
Porter à travers champs l'appel de mes sonneurs.
Sur son aile immense il promène
Tantôt un glas, tantôt un joyeux carillon,
Et toi, Castel, déchu de ta grandeur mondaine,
Avili, mutilé, tu n'es plus que prison !
La fortune est bientôt passée
Des œuvres dont la force a seule fait les frais.
Triste gloire, vite éclipsée !
Mais les œuvres de la pensée,
Là-haut, en plein azur, planeront à jamais
Sur l'humaine misère.
L'Idéal seul est grand. La Force, une chimère !

ENVOI

Prudence, charité, sagesse,
Bon sens, bon goût, délicatesse
Se retrouvent ici, prônés en maints endroits,
Sinon avec talent, du moins avec justesse :
Leçons toujours de mise, et qui vont à la fois
Aux peuples aussi bien qu'aux Rois.
De la Fable telle est la vertu singulière !
Mais si ma muse, en ces récits divers,
De quelque essai nouveau veut t'offrir la matière,
Elle doit changer de manière,
De peur que l'on ne dise : Oh ! la tête à l'envers,
Qui s'en va gravement, avec ses méchants vers,
Porter de l'eau a la rivière !

Livre III, Fable 6




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