Au coin d'un champ, sur le bord d'une mare,
Près d'un pauvre hameau par la guerre détruit,
Un boulet creux, lancé par dessus la bagarre,
Était venu tomber sans bruit.
On était en hiver : il neigeait. L'incendie,
Allumé par l'artillerie,
Flambait aux quatre coins du sinistre horizon,
Çà et là, sur la plaine blanche,
Dans la nuit, parmi l'avalanche,
Allongeant un rouge rayon.
Admirable tableau, que décrira l'histoire,
En prononçant les mots de génie et de gloire !
Heureusement que nos sanglants ébats
Ne touchent guère la Nature.
Sur les champs, devenus fameux par maints combats,
Elle jette au printemps son manteau de verdure.
Dans son sein ample et fort
Pourrissent les débris des humaines batailles ;
Les naissances - tel est le sort -
S'élaborent en elle avec des funérailles ;
Et la vie éclot de la mort.
Au-dessus, les blés verts ! la fête printanière
Se baigne de rosée et rit dans la lumière ;
Au-dessous le charnier, le lugubre ossuaire,
Où tout rentre et d'où tout sort :
Eternel va-et-vient de joie et de misère !
Ces pensers ne sont pas en dehors du sujet,
Mais revenons à mon boulet.
Que vous disais-je ?...
Qu'il était tombé dans la neige,
Où bien longtemps il se cacha.
Le laboureur revint avecque la verdure ;
Mais le coutre point n'y toucha,
Car il était dans la bordure.
Un pauvre pied de liseron,
Sur lequel pesait cette masse,
Ayant rampé, s'étant fait de la place,
Finit par pousser tout en rond.
Si bien que l'obus, ô merveille !
Enguirlandé de feuilles et de fleurs,
Paraissait reposer au fond d'une corbeille.
Les petits liserons grimpeurs
Ne pouvant s'accrocher à la ronde surface,
Où la guerre dormait, et toutes ses fureurs,
S'enroulaient autour avec grâce
Sans se douter de leur audace.
Un enfant qui passait veut y porter la main.
Le père l'arrête soudain :
- Prends garde !
Tu ne vois que les fleurs qui te plaisent. Regarde !
Ce corps noir, ce cône allongé,
N'est pas un produit de la terre ;
C'est un obus encor chargé,
Témoignage oublié de la dernière guerre.
Laisse les fleurs jouer avecque le tonnerre !
- Pourquoi donc avair inventé
Un engin aussi détesté ?
- Pourquoi? pour brûler nos villages.
Pourquoi ? pour hacher nos bocages.
Vois ces grands murs noircis, vois ces pins-parasol
Rasés par milliers à deux mètres du sol.
Pourquoi ? parce que l'homme est un être de proie,
Pour qui détruire est une joie.
-? Eh quoi ! père, serais-je ainsi ?
- Moins que nous, mon enfant. -Merci,
Et tes petits-enfants ? - Oh ! ceux-là, je l'espère,
Pourront un jour, vainqueurs de sauvages abus,
Cueillir des liserons à terre,
Sans se heurter a des obus.
Vous qui savez, d'un ver exquis,
Broder ces merveilleux croquis
Où défile à nos yeux, souriante ou rêveuse,
La géographie amoureuse
Des pays si divers que vous avez conquis,
Un jour, las de courir le monde,
Une lyre à la main, harmonieux Joconde !
Vous vous êtes fixé, dit-on,
Au Japon.
Autant du moins que peut se fixer un poète.
De là cette aimable saynète 2
Pleine d'exotiques senteurs,
Comme un éventail à la mode,
Et qui rit de mille couleurs
À la façon d'une pagode.
En voyant sur nos paravents,
Sur nos écrans,
Et sur tant de boîtes à gants,
Ces fantastiques personnages
Découpés comme des images,
Et peinturlurés bravement,
Avecque leurs trois poils au vent,
Vous ne vous êtes pas demandé, belle dame,
Si ces gens-là vivaient, s'ils étaient comme nous,
Doués d'un esprit et d'une âme,
Tantôt sages et tantôt fous,
Amoureux, emportés, poètes et jaloux.
D'Hervilly seul le sait; seul il pouvait l'écrire.
Prenez le plaisir de le lire,
Et la belle Saïnara
La perle de Yeddo, gaiement vous le dira.
Pour moi, qui dans cet opuscule,
Frais et brillant
Comme une fleur de renoncule,
Ai rencontré le vers charmant
Dont ce récit n'est qu'une glose,
Laissez-moi vous l'offrir, car il vous appartient,
O chantre de Kami ! car, s'il vaut quelque chose,
C'est par une pensée en vos rêves éclose,
Dont l'image sans cesse à l'esprit me revient :
«Un boulet, dans les champs, rencontre une fleurette. »
Mon Dieu ! qu'il est joli, ce vers, ô doux poète !