Le jeune Côlon Simon Pagès (17ème siècle)

Non ! Non, je ne veux rien apprendre;
La science est utile au seul infortuné ;
A vos discours je ne saurais me rendre,
Monsieur l'abbé ; quand on est né
D'un père
Millionnaire,
On est au doux plaisir seulement destiné.
De vos grands mots vous fatiguez ma tête :
Qu'est un savant ?... Une pédante bête.
Tous vos travaux d'esprit ne sont plus faits pour moi;
D'un repos absolu je veux suivre la loi,
Dans l'âge des plaisirs, voler de fate en fête.
J'ai douze millions, et n'ai pas une dette.
Ainsi parlait le fils d'un très-riche colon,
Que, pour faire fortune, on vit a la torture,
Et qui, depuis quatre mois environ,
Avait payé tribut à la nature.
La mère était soumise à ce jeune mignon,
Comptant sur sa raison future.
Chiens, chevaux, superbe voiture,
Des jeux, des valets complaisants,
Voila ce qu'il eut a vingt ans,
Tous les plaisirs enfin qu'offre un heureux printemps.
L'horizon politique est chargé de nuages;
La métropole, au loin, est en proie aux orages;
Tout est confondu dans son sein,
Les saintes lois sont méprisées,
Le citoyen périt sous le fer assassin,
Les familles sont dispersées,
Et, gagnant le pays lointain,
Le feu s'étend jusqu'à la colonie.
Le nègre obtient sa liberté,
Sa force n'est plus asservie ;
Le barbare des lois brave Ia sainteté;
Il pille, il ravage, assassine,
Se plonge dans les flots de sang.
A peine notre jeune blanc
Peut se sauver dans une île voisine.
Il perd sa mère, il sent les horreurs du besoin.
Par pitié, des amis lui rendent quelque soin.
Un vaisseau part pour la mère patrie;
Il est pris par pitié ; pauvre, il arrive, il prie
Quelques parents d'un père fortuné;
Il en est méconnu; rien, hélas! n'est donné;
Ceux qui l'auraient fêté dans un état prospère
Dédaignent de le voir : réduit à la misère,
Il tombe, par hasard, chez un vieux serviteur,
Qui venait de quitter un ami de son père :
— Comment, c'est vous, monsieur de Sainte-Fleur!
Venez dans mon humble chaumière,
S'adoucirai votre malheur.
Cette magnifique opulence,
Vos biens, que sont-ils devenus?
— Pauvre Dubois! hélas! ils sont perdus.
Mes bons parents n'existent plus.
Je ne sais ou cacher ma honte et ma souffrance ;
Je suis sans moyens, sans talent,
Méprisé des parents de France.
Que de torts n'ai-je pas! si je suis ignorant,
Je suis, dans ma triste détresse,
On grand exemple à la jeunesse,
Qui ne veut pas profiter de son temps.
Je suis sensible a vos largesses :
La mort ! la mort ! voila ce que j'attends.
Celui-là tombera qui se fie aux richesses.

Livre II, Fable 15




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