Le Strass et les Pierres fines Jacques Peras (18è)

Dignes élèves d'un grand Homme
Qui sut se dérober à la nuit du Tombeau,
Puisque déjà l'on vous renomme
Votre fort fera-t-il moins beau ?
Heureux par votre intelligence,
A peine sortis du Berceau,
Cet aimable savant prit soin de votre enfance ;
Ses principes font le flambeau
Qui vous conduit au chemin de la gloire,
Et vous parviendrez au moyen
De voir vos noms gravés au Temple de Mémoire.
Que ne puis-je y tracer le mien !...
Mais j'en prends joliment la route,
Et pour y parvenir je vole un peu trop bas.
En me lisant, on s'écrira, sans doute,
Ces Fables-là ne flattent pas ;
C'est folie, après la Fontaine,
De vouloir y penser. Fort-bien :
Quoi ! J'aurai donc perdu ma peine ?
Mais tout cela ne me fait rien ;
Je veux quoiqu'il en soit vous donner une Fable,
Dont le sujet un jour se trouva parmi nous,
Et si vous la jugez passable,
C'en est assez, je n'écris que pour vous.

Parmi nombre de Pierreries,
Certain Strass se pindarisait,
Et son jargon plein de fades saillies
Faisait rire les uns, aux autres déplaisait,
Nul diamant pour lui n'avait charme ni grâce,
Il se croyait plus que tous les Rubis ;
Et même un jour il eut l'audace
De tenir ce discours. Ecoutez mes avis,
Dit-il sur chaque Pierre :
Le Tosape aurait droit de plaire,
Mais elle est pâle et ne jette aucun feu.
L'Emeraude n'a rien qui flatte.
D'une Pierre à fusil on peut faire une Agathe.
Pour le Grenat il n'a brillant, ni jeu.
La Turquoise est en discrédit.
La Cornaline est si commune.
Un Diamant prit la parole, et dit :
Tous tes discours n'ont rien qui nous chagrine,
Ne te vantes pas tant, crois-moi,
La plus petite Cornaline
L'emporte de beaucoup sur toi ;
Va, mon cher petit Strass, les Sots et les Coquettes
Sont les Admirateurs de tes feux éclatants ;
Vit-on jamais un homme de bon sens
Te mettre au rang de ses emplettes ?
Non ton mérite est si petit,
Que plus on te regarde, et plus il diminue.
Le Strass fut sot à ce récit,
Et fut contraint d'avouer sa bévue.

On voit certains savants par des minces écrits
Au vrai mérite faire injure ;
Mais ces prétendus beaux esprits
Ne font que Strass dans la Littérature.

Livre II, fable 3




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