Persévérez ; pour croître il faut prendre racine.

Le vent porta deux glands, d'une même origine,
L'un, dans un terrain généreux,
Qu'une source limpide humectait de son onde ;
Et l'autre, dans un sol ingrat et sablonneux.
Au retour du printemps ils poussèrent tous deux.
Le chêne qui croissait dans la terre féconde
Avait pour maître un théoricien
Horticulteur, de science profonde,
Perfectionnant tout, sans réussir à rien ;
De ces gens que le Ciel semble avoir mis au monde
Pour prouver que le mieux est l'ennemi du bien.
« Aux chênes, » se dit- il, « dès le premier automne,
J'ai lu, qu'en les plantant, on coupe le pivot ;
Poiteau sur cet objet fort sagement raisonne. »
Il déplante l'arbuste et lui fait aussitôt
Cette opération qu'il juge nécessaire.
L'an d'après : « Ce côté, dit-il, de mon jardin
Me semble évidemment meilleur que son voisin. »
Et, de nouveau, le chêne, ôté de terre,
Est mis de ce côté, pour que mieux il prospère.
Bref, tous les ans, notre arbre transplanté,
Taillé, raccourci, tourmenté,
Dépérit, en dépit du sol le plus fertile.

Son frère par le sort fut beaucoup mieux traité.
Dans un terrain presque stérile,
Tranquillement du moins il y passa ses jours.
Il y crût lentement, mais profitant toujours,
Il se couvre aujourd'hui du plus riche feuillage,
Et les bergers des alentours
Viennent danser sous son ombrage.

Voulez-vous réussir ? craignez les changements.
Croyez-moi, l'inconstance à rien ne remédie ;
Quatre ou cinq déménagements
Font plus de tort qu'un incendie.

Livre V, fable 8


Poiteau était l'auteur du Bon jardinier.

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