Les Épis de blé Fortuné Nancey (? - 1860)

Un homme, de ceux-là sur lesquels on se fie
Pour le fardeau de l'éducation,
De ceux-là qui font de leur vie
La complète abnégation ;
Afin que par l'étude et par l'instruction,
Ils puissent dissiper chez une sotte enfance
Les ténèbres de l'ignorance ;
Enfin de ceux-là, dont le lot
Est rude sur la terre, el qu'autrefois d'un mot
Chez les anciens même on sut peindre ;
En présence en effet d'un sort si bien à plaindre,
Ne disait-on pas que les Dieux,
Pour se venger d'un mortel odieux,
Pour qu'il ne lui restât rien de ce qui console,
En faisaient un maître d'école.
A leur sort de nos jours est-il rien de changé?
Laissons sans le résoudre un tel point engagé.
Si l'un d'eux aujourd'hui me devient nécessaire,
C'est pour une toute autre affaire.

Un de ces hommes donc ayant dans ses travaux
Mission d'éclairer quelques jeunes cerveaux,
Et voulant à tout prix détruire,
Dans ceux qu'il avait à conduire
Une présomption, ainsi qu'un sot orgueil
Sur lesquels à propos il avait ouvert l'œil,
Profite d'un beau jour où pour la promenade
Il fait quitter l'étude à sa jeune escouade.
C'était au temps où de riches moissons
Couvraient le sol, prêtes par un échange
A quitter le champ pour la grange.
Le maître avait vu la matière à sas leçons :
Parmi tous ces épis consolante espérance,
Pour celui qui les ensemence,
Si la nature au temps de la maturité
A fait entr'eux l'égalité,
Il en est cependant dont les têtes superbes
Dépassent en hauteur, toutes les autres gerbes,
Comme il en est dont le front incliné
Se courbe vers la terre à demi ramené.
C'est en ce point, dans cette différence,
Que trouvant un enseignement,
Il veut par un rapprochement
De ces enfants frapper l'intelligence.
Il coupe un des épis altiers,
Qu'à leur examen il présente ;
Malgré sa belle forme et contre leur attente,
Il portait pu de grains, ce n'était volontiers
Que paille, et futile enveloppe.
Puis il en prend un autre, et sa main à leurs yeux,
En le froissant soudain en développe
Force grains, trésor précieux.
Pour ce dernier, n'est besoin je l'espère
D'ajouter que c'était de ceux qui vers la terre
Avaient le front modestement penché.
Le maître alors à ses jeunes élèves
Va dans quelques paroles brèves
Mieux expliquer le sens à l'exemple attaché.

Cet épi, leur dit-il, qui de l'autre diffère,
Dont la têle vuide et légère
Se dresse vers le ciel et bravant les petits,
Domine les autres épis ;
C'est l'orgueilleux., le sot, qui vuide de cervelle,
Porte la tête haute, et qui n'estime pas
Que le génie en l'homme se révèle
Autrement que par l'embarras ;
L'autre par un contraste heureux, mais ordinaire,
C'est, image qui doit nous plaire,
L'homme savant, et dont le large front
Chargé par la lecture, enrichi par l'étude,
Du savoir, modeste habitude
Vers la terre s'incline, et sous le faix se rompt.

Livre III, fable 19




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