Le Corbeau et ses petits Jean-Baptiste Voinet (1976 - ?)
Dans un pays de l’est, on raconte une histoire
Est-ce une certitude, est-ce la vérité ?
On peut tout embrasser de façon provisoire
Et puis, un peu plus tard, commencer à douter.
Il est vrai qu’on se plaît à faire parler la bête,
Bavarde comme un homme et parfois même plus,
Dans ce genre d’apologue enfantin mais honnête,
Ni vilain ni cruel mais peut-être incongru.
Un corbeau fit son nid dans une île perdue,
Où l’homme n’avait pas fait entendre sa voix,
Une terre isolée et pas très étendue
Où les beaux oisillons, furent vite à l’étroit.
Un par un, le parent, voulut porter ses mioches,
Pour rejoindre la terre et les bois et le sol ;
Il saisit le premier, au hasard, le plus proche,
Puis, d’un seul battement, commença son envol.
Arrivé à mi-course, il eut une pensée :
« Aujourd’hui, il est faible alors que je suis fort,
Il a besoin de moi pour cette traversée,
Oui, mais dans mes vieux jours, aux portes de la mort…
Sera-t-il là pour moi, prendra-t-il sous son aile
Son vieux père amoindri, fatigué et perclus. »
Il posa la question, de façon naturelle :
« Prendras-tu soin de moi, quand je ne pourrai plus ? »
Craignant d’être lâché dans cette onde glacée,
Et par peur que ses mots ne conviennent pas,
Le petit rejeton, la gorge un peu coincée,
Donna cette réponse, alors à son papa.
« Comment donc, mais voyons, oui, la chose est admise,
Je vous protégerai quand viendront les vieux jours. »
N'en croyant pas un mot, le corbeau lâcha prise
Et le petit chuta, sans espoir, sans recours.
Laissons là les détails, le second fit de même,
Intéressons-nous donc au troisième et dernier,
Qui prit différemment la question, le problème,
Car celui-ci n’avait pas peur de se noyer.
« Père, je ne puis point vous donner ma parole
Quand vous serez âgé, je serai à mon tour
Père de trois petits, je serai leur boussole. »
Celui-ci fut posé sur la terre alentour.
Texte cruel s'il est pris au premier degré. Il faut vraiment le voir comme : s'alléger du poids du mensonge. Fable de Léon Tolstoï.
