Autrefois dans Bagdad le calife Almamon
Fit bâtir un palais plus beau, plus magnifique
Que ne le fut jamais celui de Salomon.
Cent colonnes d’albâtre en formoient le portique ;
L’or, le jaspe, l’azur, décoroient le parvis ;

Dans les appartements embellis de sculpture,
Sous des lambris de cédre, on voyait réunis
Et les trésors du luxe et ceux de la nature,
Les fleurs, les diamans, les parfums, la verdure,
Les myrthes odorants, les chefs-d’œuvre de l’art,
Et les fontaines jaillissantes
Roulant leurs ondes bondissantes
A côté des lits de brocart.
Près de ce beau palais, juste devant l’entrée,
Une étroite chaumière, antique et délabrée,
D’un pauvre tisserand était l’humble réduit.
Là, content du petit produit
D’un grand travail, sans dette et sans soucis pénibles,
Le bon vieillard, libre, oublié,
Coulait des jours doux et paisibles,
Point envieux, point envié.
J’ai déjà dit que sa retraite
Masquoit le devant du palais.
Le vizir veut d’abord, sans forme de procès,
Qu’on abatte la maisonnette :
Mais le calife veut que d’abord on l’achete.
Il fallut obéir : on va chez l’ouvrier,
On lui porte de l’or. Non, gardez votre somme,
Répond doucement le pauvre homme ;
Je n’ai besoin de rien pour mon attelier ;
Et, quant à ma maison, je ne puis m’en défaire ;

C’est là que je suis né, c’est là qu’est mort mon père,
Je prétends y mourir aussi.
Le calife, s’il veut, peut me chasser d’ici ;
Il peut détruire ma chaumière ;
Mais, s’il le fait, il me verra
Venir, chaque matin, sur la dernière pierre
M’asseoir et pleurer ma misere :
Je connais Almamon, son cœur en gémira.
Cet insolent discours excita la colere
Du vizir, qui vouloit punir ce téméraire
Et sur-le-champ raser sa chétive maison.
Mais le calife lui dit : Non,
J’ordonne qu’à mes frais elle soit réparée ;
Ma gloire tient à sa durée :
Je veux que nos neveux, en la considérant,
Y trouvent de mon règne un monument auguste ;
En voyant le palais, ils diront : Il fut grand ;
En voyant la chaumiere, ils diront : Il fut juste.

Livre I, fable 8




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