L'Enfant du Souci Louis Auguste Bourguin (1800 - 1880)

Assis au bord d'un lac tranquille,
Le Souci, de ses doigts distraits,
Se mit à façonner l'argile
Qui d'un bel enfant prit les traits.

Le dieu qui porte le tonnerre
S'approche et dit : « Que fais-tu là ?
— J'ai fait cette image de terre,
Toi, qui le peux, anime-la.

— Soit : ton espérance est remplie,
Elle vit, mais elle est à moi.
— Elle vit!... oh ! je t'en supplie,
Qu'elle m'appartienne. — Eh ! pourquoi ?

— J'ai donné la forme à l'image.
— Moi, l'esprit, et l'esprit c'est tout.
— Et moi quel sera mon partage?
Leur dit Cybèle tout à coup.

La matière à mon sein fut prise,
A l'oeuvre n'ai-je pas des droits?
Mais que le Destin nous instruise,
Et qu'il prononce entre nous trois. »

Le Destin, consultant son livre,
Dit : « Écoutez ce qu'il prescrit :
Quand l'enfant cessera de vivre,
Jupiter réprendra l'esprit ;

La matière à tes flancs ravie
Te revient seule après sa mort,
Cybèle ; et toi, durant sa vie,
Souci, lu régleras son sort.

De cet enfant, qui te ressemble,
Jusqu'au tombeau guide les pas :
Le nœud fatal qui vous assemble,
Lui vivant, ne se rompra pas. »

L'homme ainsi, — car, on le devine,
C'est de lui qu'il s'agit ici, —
Appartient par son origine
Au ciel, à la terre, au souci.

Livre V, Fable 12, 1856




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