Le Seigneur et le Berger Prosper Wittersheim (1779 - 1838)

« Tu me parais, mou garçon, fort heureux ?
— Jarni ! pus que vous ; rien ne m' manque,
T'nez, vot' habit plein d'or, et puis c' blanc dans vos ch'veux,
Ça m'tracass'... mon chapiau, mon sarreau val'nt ben mieux.
Quand j'ons envie d'un somn', sur l'oreille je m' flanque,
J'n'ons pas crainte d'gâter queuqu' chose ; mais pour vous...
— Moi, je coule des jours bien doux !...
— Queu tourment ! faut six homn' lorsque monseigneur s'lève,
Tant quand i' s'couche, et d'aut' à ses repas, et l' pir',
I' faut un' servie tt' blanch'... Tudieu ! tout ça m'achève !-
S'i faut tant d'cliose, alors j' nous pu d'plaisir.
— Et n'ai-je pas fort bonne table ?
Mets fins, pâtés, liqueurs, champagne délectable ?
— C'est ben vrai, mais j' nous en moquons :
J'ons toujours faim, et j'trouvons mes plats bons...
J'mangeons comnT quat' quoique j'n'en avions guère ;
Mais aussi j' n'avons pas connu' vous d'apothicaire
Qui m'empoisonn' par tout c' qui gn'y a d'mauvais.
J' rions ben, et malade, oh ! je ne l' somm' jamais !
Non, monseigneur, allez, vous ne m' f'rez pas envie ;
Moi, j'voulons vivre et mourir de c'te vie.
Croyez-vous que F bonheur étiont d'posséder tout ?
Nenni ; c'est d'èt' content et d'vivre s'ion son goût. »

Livre II, fable 16




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