Exhale tes parfums aux pieds de ma grandeur,
Dit l'orme à l'oranger : je suis arbre ; et l'arbuste
Doit m'encenser. Je suis robuste,
Et je ne fleuris point ; c'est le droit du seigneur :
Mais enfin je pourrais m'étonner que personne
Ose de la nature accepter une fleur
Qu'elle refuse à ma couronne.
Bref, on me dit stérile ; et je pourrais encor
Demander de quel droit mon vassal fructifie.
De ces mille bras nus, dont la vigueur défie
L'orage, et que jamais ne gêne un vain trésor,
Je pourrais sur ton front briser tes globes d'or :
Je pourrais... mais j'ai l'âme bonne ;
Encense-moi, je te pardonne.
L'arbuste alors s'incline, et du matin au soir,
Aux pieds de Sa Hautesse, adroit thuriféraire,
N'a feuille, fleur ni fruit qui ne soit encensoir.
L'orme : « Je suis content : il connaît son devoir.
Écoute, heureux féal ! ton zèle m'a su plaire :
Bénis ton sort, je veux, pour mes menus plaisirs,
Assurer ton repos : ma droite tutélaire
S'étend sur toi ; répète : Un Dieu fit mes loisirs '. »
Ace touchant espoir notre oranger crédule,
Se prosterna de cœur, et jura par Hercule,
Que si jamais, plus riche, il avait des troupeaux,
Le plus gras, le plus blanc de ses jeunes agneaux,
Serait pour les autels du Dieu, son seul asile.
L'asile cependant s'épaissit : des ormeaux
L'Auguste, chaque jour, en bontés plus fertile,
Sur la tête de son Virgile,
Jette branche sur branche, et rameaux sur rameaux ;
Et, le plaçant, dit-il, à l'ombre de ses ailes,
Lui fait un avant-goût des ombres éternelles.
Le dais, qui le défend de la grêle et des nuits,
Au gré de monseigneur, lui donne ou lui retire
L'air que son feuillage respire,
Le rayon qui dore ses fruits.
Au gré de monseigneur, déjà l'aube recule ;
Déjà grandit le crépuscule :
Bientôt, les soleils font leur tour
Sans percer d'aucun trait cet abat-jour énorme :
Plus de clarté que pour la forme.
La rosée avait fui, la lumière eut son tour :
Le jour et la chaleur, cette fille du jour,
Disent à l'oranger : « Attendez-moi sous l'orme ! »
Ô très-gracieux protecteur !
Votre Stérilité se connaît en salaire !
Si jamais, sur le front d'un vassal téméraire,
Ces fruits d'insolente saveur,
Ont mérité votre colère,
Laissez agir votre faveur !
Elle agit : plus de fruits ; une insipide fleur :
Plus de fleurs ; une feuille éphémère et mourante :
Et sur les rameaux sans chaleur,
A peine un reste de couleur,
Faible et dernier effort de la sève odorante.
« Je crois qu'il n'est pas bien, dit l'orme ; sa pâleur
Est mauvais signe : en vain je lui sauve la grêle ;
Le serein est pour lui la foudre : il est si frêle !
Allons ! sauvons-le du serein. »
Pas de retard : il met la main
A l'œuvre ; et, pour garder le mourant de dommage,
De ses ombres sur lui redouble l'épaisseur :
Tant et si bien que leur noirceur
Devint pour l'oranger celle du noir rivage.
Je le plains : mais du voisinage
Les arbres, moins humains, et raillant de bon cœur
Le pourvoyeur d'encens et le donneur d'ombrages,
Les nommaient d'un ton ricaneur :
Le poète et le grand seigneur.
Si, comme moi, le Tasse, instruit dans leur langage,
Au sortir de Sainte-Anne eût ouï ces caquets,
Il aurait mieux que moi saisi leur persiflage.
Mais aurait-il aimé leurs malins sobriquets ?
Fuyez l'orme, dirai-je à l'oranger qui pense ;
Mais ne l'accusez pas. A moins d'être insensé,
Qui ne s'élèverait pour prendre la défense
De la stérilité, donnant à qui l'encense
Le même droit d'être encensé?
Jamais arrêt plus juste a-t-il mieux balancé
Le service et la récompense ?