Sur le penchant d’une montagne,
Haut et puissant seigneur de la campagne,
L’orme habitait près du noyer.
Bons voisins, ils jasaient pour se désennuyer.
L’orme disait à son compère ;
En vérité j’ai lieu de me plaindre du sort.
Je suis haut, verdoyant et fort ;
Stérile avec cela ; point de fruit ; j’ai beau faire ;
Je n’en saurais porter ; la nature eut grand tort.
Je fais ombre, et c’est tout. Cela me mortifie.
Voisin noyer le consolait :
Il te fâche de voir comme je fructifie ;
J’ai de trop ce qu’il te fallait.
Mais que veux-tu ? Le ciel répand ses grâces
Comme il lui plaît ; non pas comme nous l’entendons.
Plus élevé que moi, de vingt pieds tu me passes ;
Il m’a fait à moi d’autres dons.
J’ai le meilleur lot, à tout prendre.
Le fruit nous sied fort bien ; arbre qui n’en peut rendre,
N’est à mon sens, un arbre qu’à demi ;
Mais console toi, mon ami,
Il ne t’en viendra pas à force de murmure ;
Il faut vouloir, ce que veut la nature.

Le noyer babillard continuait toujours,
Quand un essaim d’enfants interrompt son discours.
À coups de bâtons et de pierre
Le bataillon lui livre une cruelle guerre.

Le pauvre arbre n’a point de noix
Qui ne lui coûte au moins une blessure :
Il reçoit cent coups à la fois ;
Adieu ses fruits et sa verdure.
La moisson faite, on veut encore glaner :
Sans respect du noyer, sur lui la troupe monte ;
On le rompt, on l’ébranche ; il crie, on n’en tient compte,
Tant qu’il n’ait plus rien à donner.
Enfin, chargés de noix, c’est sous l’orme tranquille
Que les enfants vont les manger ;
Et l’orme dit en les voyant gruger ;
C’est souvent un malheur que d’être trop utile.

Livre II, fable 8






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