Dans les fastes de l'Angleterre
On vante avec raison le règne de Canut :
Car c'était un bon roi, si jamais il en fut ;
Non moins sage au conseil qu'intrépide à la guerre,
Il fut pieux encore, et je n'ai pas appris
Que son royaume en allât pis.
Or écoutez un trait de son histoire
Que j'ai lu quelque part. Où ?... je n'en sais plus rien ;
Mais qu'importe l'historien ?
Voici le fait, si j'ai bonne mémoire.
Sur les bords de la mer, un jour,
Canut se promenait escorté de sa cour.
- Que j'aime à contempler cette liquide plaine ! -
Disait-il, et flatteurs de répondre à-la-fois :
Ô roi, le plus puissant des rois !
C'est un fief de votre domaine.
-Quoi ! ce vaste Océan..... --Est soumis à vos lois.
-Mais lorsqu'il s'agite et qu'il gronde,
Qui pourrait arrêter la fureur de son onde ?
Vous seul pouvez lui mettre un frein,
Sire : dites un mot, il s'apaise soudain. —
Canut est indigné de tant de flatterie ;
Pour les en punir, il s'écrie :
Ainsi donc de la Mer je suis le souverain !
Essayons mon pouvair ; l'occasion est belle,
Voici le flux. — Oui, sire. Éloignons-nous. -Pourquoi ?
Il ferait beau voir qu'à son roi
Un sujet se montrât rebelle !
Silence. - On se regarde, et chacun reste coi.
Canut fait apporter son fauteuil, sa couronne,
S'assied ; puis, étendant son sceptre vers les flots,
À la Mer il parle en ces mots :
- Ô Mer ! retire-toi, ton maître te l'ordonne. -
Le flux va toujours s'élevant ;
Il a bientôt couvert la plage.
Quand le roi sous ses pieds sent le sable mouvant,
Force est de quitter le rivage.
Notez que ces messieurs avaient pris le devant.
Canut leur tient alors ce sévère langage :
Par vos discours insidieux
Vous croyez m'abuser peut-être :
Apprenez que la Mer ne reconnaît qu'un maître.
Ce maître, c'est celui de la terre et des cieux.
Le plus puissant des rois n'est qu'un homme à ses yeux,
Et l'homme un vermisseau que sa bonté fit naître ;
Mais abrégeons de vains discours :
Vil troupeau de flatteurs ! c'en est fait, je vous chasse.
Vous êtes le fléau des cours.
Ah ! puissent mes pareils se rappeler toujours
Mon exemple et votre disgrâce !