Aux yeux de la Grèce charmée,
Zeuxis, de son brillant pinceau,
Venait de faire éclore un chef-d'œuvre nouveau.
-Rien n'égale ta renommée,
Lui dit-on ; désormais il faut peindre Vénus ;
Mais peins sa grâce enchanteresse,
Son aimable sourire, et ses traits ingénus ;
Rends enfin le tableau digne de la déesse.
-J'y consens, dit-il : je suis prêt ;
Mais vous, amenez-moi vos filles les plus belles ;
Que des traits de chacune d'elles
Je saisisse le plus parfait :
Puis-je mieux de Vénus composer le portrait ? -
On lui présente cinq modèles :
La voluptueuse Zélis,
Aglaure, à la taille légère,
Et la vive Thémire, et la tendre Glicère,
Enfin la modeste Anaïs.
Le peintre, à leur aspect, est transporté d'ivresse :
Il voit dans ces beautés l'élite de la Grèce.
- Oui, j'en jure par les les appas
Dont vous éblouissez ma vue ;
Oui, dit-il, à Vénus vous ne le cédez pas.
Mais quoi ! dans mon tableau Vénus doit être nue ;
Comment l'offrir aux yeux digne d'elle et de vous,
Si vous ne quittez pas ces vêtements jaloux ?
-Les quitter ! non, jamais. -C'est toute leur réponse.
J'en excepte pourtant Zélis.
Son cœur dément tout bas ce que leur bouche annonce.
Être peinte en Vénus, et peinte par Zeuxis,
Quel triomphe ! on dira : Zélis n'a point d'égale ;
Elle a servi de modèle aux beaux-arts ;
Vénus en elle a trouvé sa rivale.
Au même instant à ses pieds sont épars
Et voile, et bracelets, et tunique, et ceinture.
Zélis enfin n'offre plus aux regards
Que les trésors de la simple nature.
Bientôt l'exemple est imité
Par Thémire, Aglaure, et Glicère,
Une secrète vanité
Leur dit : Comme Zélis vous avez droit de plaire.
Laquelle en effet préférer ?
Zeuxis est en extase ; il a beau comparer
Mille appas que son œil dévore,
Incertain sur le choix, il ne sait qu'admirer ;
Et ce qu'il admire, il l'adore.
Cependant Anaïs restait les yeux baissés.
-Plairiez-vous moins que Zélis ou qu'Aglaure ?
Lui dit-il tendrement ; oh ! non. Vous rougissez ?
Imitez-les plutôt. Moi, que je les imite !
Ah ! dût-on m'adjuger la pomme de Pâris,
Je la refuserais, offerte au même prix.
A ces mots elle prend la fuite.
Mais la toile va s'animer.
Chaque modèle est à sa place.
L'artiste vient de s'enflammer,
Et déjà même, au dessin qu'il en trace,
De Cythérée on devine la grâce.
Son pinceau délicat ose enfin l'exprimer :
O prodige ! Vénus respire ;
Elle sourit, et semble dire :
« Venez, heureux mortels ; j'enseigne l'art d'aimer. »
Zeuxis avait à peine achevé son ouvrage ;
On l'expose soudain aux yeux des amateurs.
Quel concert d'éloges flatteurs !
Chacun avec transport lui donne son suffrage ;
Ses rivaux n'en sont point jaloux ;
L'un d'eux même, l'un d'eux s'écrie :
-O Vénus ! digne objet de notre idolâtrie,
Je te vois, je t'adore, et tombe à tes genoux.
Loin de partager ce délire,
Zeuxis sur son tableau jette un œil inquiet,
L'en détourne, y revient, et se tait, et soupire.
Un connaisseur lui dit : Pourquoi cet air distrait ?
Quand la Grèce entière l'admire,
Voudrais-tu seul juger ton ouvrage imparfait ?
- Oui, répond-il.— Erreur. Détaillons chaque trait ;
Pouvais-tu rendre mieux la jambe de Thémire,
Et la taille d'Aglaure, et le sein de Zélis ?
Je vois Glicère me sourire ;
Non, je me trompe, c'est Cypris.
- Cher ami, c'est en vain que tu flattes Zeuxis :
Ce qui manque à Vénus manquait à mes modèles ;
Ce charme pur, ce fard des belles...
- Quoi donc ? —- La pudeur d'Anaïs.